La bonne pratique médicale : hommage à la culture générale

Le début des études médicales est marqué par une sélection reposant sur des sciences exactes. Celles-ci se sont substituées au 20ième siècle aux sciences humaines, par le biais desquelles étaient identifiées les personnes aptes à embrasser la carrière médicale. Chez les anciens, la primauté du savoir être sur le savoir et le savoir-faire avait le vent en poupe. Aujourd’hui, l’étudiant obtient son doctorat au bout de sept ou huit années d’études, avant d’entreprendre une éventuelle spécialisation durant quatre ou cinq ans. La pratique médicale s’exerce sur l’être humain dont la complexité, même à l’état normal, n’est pas simple à décrypter.

Il importe de rappeler qu’il est difficile voire impossible d’être un bon spécialiste sans être préalablement un bon généraliste. De même, détenir une culture générale est indispensable à une honorable pratique médicale. Il importe également de distinguer la culture générale des informations, la différence entre les deux concepts étant analogue à celle existant entre le bruit et la musique. Ce distinguo est capital, notamment à cette ère du numérique triomphant, où la construction de phrases a fait place à la messagerie basée sur les seuls sons.

La culture générale a pour socle la lecture, notamment celle portant sur les humanités que sont l’histoire, la philosophie, la littérature, la sociologie, bref les sciences humaines. Une erreur pédagogique a consisté à magnifier les mathématiques et les sciences physiques au secondaire, au point de légitimer le peu d’intérêt accordé aux sciences humaines par un bon élève en ces matières. Or il apparaît clairement qu’un bon élève est souvent bon en tout, les aptitudes aux sciences exactes n’étant pas antinomiques de celles aux sciences humaines. Il est regrettable qu’un ingénieur ou un médecin s’exprime mal, et rend de ce fait inintelligible son domaine au profane, par un langage hermétique parce que trop technique et parfois truffé de fautes.

La culture générale est indispensable à une parfaite assimilation des concepts, et la connaissance des fondamentaux de l’histoire de la médecine, partie intégrante de l’histoire générale de l’humanité, est nécessaire à la bonne maîtrise et au bon exercice de celle-ci. La culture générale permet une approche holistique du problème que pose le patient, et enrichit les échanges rendus fluides par la mise à l’aise, l’instauration de la confiance et la levée de tabous.  La connaissance par le médecin de l’histoire et de la culture du patient valorise et rassure celui-ci, rapproche le premier du second et améliore la relation médecin-malade. De même, une bonne dose de culture générale est nécessaire à l’enseignement, à travers des exemples, des analogies, des métaphores et des aphorismes.

Les grands médecins et les grands scientifiques ont en commun une parfaite maîtrise des humanités, à la base d’enseignements inoxydables : René Descartes, tout aussi scientifique et littéraire que médecin, avait en son temps fait mention de l’utilité de la douleur ; l’absence de celle-ci dans le cortège des symptômes d’une maladie allonge le délai à la consultation et engendre de ce fait un retard diagnostique ; Pasteur après avoir découvert les microbes, a vite fait état du rôle prépondérant du milieu dans la genèse et le développement des maladies, conscient que le microbe n’est rien et que le milieu est tout ; Hippocrate il y a vingt-cinq siècles, a développé avant l’heure le concept « une seule santé », en établissant l’étroitesse des liens entre l’air que nous respirons, les aliments que nous consommons et notre cadre de vie d’une part, et les maladies que nous contractons d’autre part ; la vaste culture spirituelle et philosophique de Maimonide a été déterminante dans le lien qu’il établit entre la guérison du corps et celle de l’esprit, et dans sa nomination comme médecin personnel du fils de Saladin ; de même la solide culture de Fagon arrimée à la maîtrise de son art fit de lui le médecin personnel de Louis XIV, avec une notoriété telle qu’il fut même  l’objet d’une satire par ses détracteurs ; Henri Mondor, éminent chirurgien, a décrit, dans son ouvrage sur le diagnostic des urgences abdominales,  les symptômes des maladies de manière pittoresque et romanesque, pour en faciliter la rétention.

Les enseignements de ces pères de la médecine étaient truffés d’aphorismes, sorte de condensés saisissants : ainsi, Hippocrate, dans l’un de ses plus célèbres aphorismes, notait que la vie est brève, l’occasion fugitive, l’art long, l’expérience trompeuse et le jugement difficile. Maimonide, dans sa prière, demande à Dieu de l’éloigner de l’idée qu’il sait et peut tout, et de l’aider à être modéré en tout mais insatiable dans la quête de la connaissance et de l’expérience.

Aussi bien à travers l’histoire qu’à travers la géographie, la bonne pratique médicale, indissociable de la philosophie, fait appel à la maîtrise des humanités, pierre angulaire de la culture générale, dont l’intérêt et la place ne sauraient être érodés par les sciences exactes.

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