Les grandes étapes de la pensée médicale

A l’instar des autres champs du savoir, la connaissance de son histoire permet une meilleure compréhension de la médecine et induit la prise de recul dans l’analyse des faits présents dont elle est le théâtre. Schématiquement, la pensée médicale a connu une évolution en trois temps à travers l’histoire : le premier est celui d’une très longue période, remontant à la nuit des temps et dominée par l’approche métaphysique ; le deuxième est une période aussi brève que riche (1859-1865) appelée les six glorieuses par Jean Bernard, au cours de laquelle fut implanté le décors de la médecine rationnelle ; le troisième est celui ayant caractérisé le 20ième siècle, où la médecine, grâce à d’importants apports scientifiques et techniques, a acquis de considérables moyens d’action dans les trois volets  curatif, préventif et prédictif.

La conception métaphysique de l’origine et du traitement des maladies a eu à dominer la pensée médicale dans les quatre coins du globe. Chez les Sumériens et les Égyptiens, la médecine était indissociable de la magie, du sacré, du surnaturel et de la religion. L’incantation conditionnait l’efficacité du traitement. Les médecins n’avaient pas le monopole de la pratique médicale : prêtres et magiciens intervenaient pour chasser du corps la puissance maléfique. Les médecins étaient des personnages mythiques voire divinisés, à l’instar d’Hippocrate qui appartenait au genos des Asclépiades, descendants d’Asclépios (Esculape), dieu de la médecine et fruit des amours de la nymphe Coronis et du dieu Apollon. La légende veut que ce dernier, voulant se venger de l’inconstance de sa jeune maîtresse encore enceinte, la conduisît au bûcher, tout en retirant Asclépios de ses entrailles. Il le confia au centaure Chiron qui lui enseigna l’art de soigner les hommes.

L’approche métaphysique de l’origine des maladies qui a résisté à l’avènement et à l’ancrage du monothéisme était arrimée au recours aux plantes médicinales dont seront extraits certains médicaments.  Hippocrate utilisait les jus de peupliers et les feuilles de saule, ancêtre de l’aspirine. La théorie des humeurs (liant la maladie à la présence de sécrétions anormales dans les corps) justifiait la saignée et le recours aux vomitifs et aux purgatifs. L’importance du sacré et du religieux dans l’art de soigner explique le rôle prépondérant que joua l’église catholique dans la gestion des facultés de médecine et des hôpitaux au cours du Moyen-Âge.  Toutes ces composantes (approche métaphysique, recours aux plantes, éliminations des humeurs) se retrouvent dans la médecine africaine précoloniale.

Entre 1859 et 1865, les résultats de travaux issus d’une conjonction du hasard et de la nécessité, ont servi de socle à la médecine rationnelle : la découverte des microbes par le chimiste Louis Pasteur, celle des bases de la physiologie par le médecin Claude Bernard, celle de la théorie de l’évolution par le naturaliste Charles Darwin, et celle de l’hérédité par le moine catholique, botaniste et généticien Gregor Mendel. Ces travaux ont été à l’origine d’un tournant décisif en projetant un faisceau lumineux devant sortir la médecine des ténèbres et de la tutelle quasi-exclusive de la métaphysique. En outre, infiltrée par les progrès scientifiques et techniques du 19ième siècle, la médecine devient efficace sur le double plan préventif et curatif à travers :

  • le renforcement de l’hygiène et de l’assainissement du milieu ;
  • la révolution thérapeutique avec les premiers antibiotiques, les vaccins, l’anesthésie et la chirurgie (qui passe de l’amputation à la réparation et à la reconstruction) ;
  • la révolution biologique marquée notamment par la contraception et la procréation médicalement assistée, la génétique avec la mise en évidence en 1950 des 46 chromosomes, l’établissement du code génétique en 1966 et de la carte complète des chromosomes en 1996,  et la découverte de traitements qui ont révolutionné la psychiatrie ;
  • le bond en matière d’imagerie avec l’échographie en 1966, le scanner en 1971 et l’imagerie par résonance magnétique en 1981.

La conjonction de ces changements a impacté l’espérance de vie qui, en Europe, est passée d’une trentaine d’années à la fin du 18ième siècle à 80 ans en 2020.

En même temps, la forte infiltration de la médecine par les sciences exactes a donné une place prépondérante à la quantification aux dépens de la qualification et de l’intuition, tant dans la démarche diagnostique que dans la thérapie. C’est le principe de la médecine fondée sur le niveau de preuve. Ceci a généré l’élaboration de protocoles, plus pertinents pour la maladie que pour le malade, et pour la population que pour l’individu. L’aspect sacré de la médecine s’est en outre érodé, le patient devenu client et parfois chosifié, et l’hôpital géré comme une entreprise.

Les progrès ont en outre participé à l’élargissement de l’espace de liberté de l’homme, à l’origine souvent d’importantes questions éthiques : dissociation de la sexualité de la fécondité, choix des caractéristiques de sa descendance, choix d’un autre sexe, etc.

Il découle de ce qui précède que :

  • la conception surnaturelle et métaphysique de l’origine des maladies n’est l’apanage d’aucun continent. Elle a existé dans tous les quatre coins du globe ;
  • le recours aux plantes n’est le monopole d’aucun continent. D’ailleurs, de nombreux médicaments sont issus de plantes ;
  • la théorie des humeurs a prévalu pendant des siècles, et justifie le recours aux purgatifs, aux vomitifs et à la saignée, pratique encore observée en Afrique ;
  • les récents progrès de la médecine ont servi de base à la médecine prédictive : la détermination de facteurs de risque des maladies en permet le dépistage puis leur tarissement dans un but préventif ;
  • l’allongement de l’espérance de vie est à la fois le fruit de l’hygiène et des progrès de la médecine. Cette donnée est à prendre en compte particulièrement en Afrique, où l’on paie un lourd tribut aux maladies liées au manque d’hygiène.
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