Gardons-nous d’un abord réducteur de la santé

L’homme, fabuleux dénouement des processus à l’œuvre dans l’univers depuis des millénaires, est une merveille. C’est un animal de la classe des mammifères, de l’ordre des primates, de la famille des hominiens, du genre homos, et de l’espèce sapiens. Les saintes écritures le considèrent comme la meilleure des créatures, doté qu’il est d’un cerveau responsable de ses facultés de prédiction, de prévision, d’anticipation et de planification. La masse de ce cerveau a subi une augmentation au fil des millénaires, satellite de la verticalisation, pour atteindre la moyenne de 1400 grammes chez l’adulte. Le cerveau a considérablement élargi le pouvoir de l’homme à travers le savoir qu’il véhicule et les progrès insoupçonnés qui en ont découlé. D’éminents humanistes à l’instar d’Albert Jacquard et d’Edgar Morin ont consacré de très instructifs ouvrages à cet être qu’est l’homme, décrit par Montaigne comme ondoyant, inconstant et divers. Sa domination sur la nature eut notamment pour conséquence l’hypertrophie de son égo fort heureusement recadrée par trois révolutions : la révolution copernicienne qui substitua au XVIème siècle la théorie géocentrique par celle héliocentrique, montrant à l’homme que la planète qui l’abrite n’est pas au centre de l’univers ; la révolution issue de la théorie darwinienne au XIXème siècle, lui rappelant qu’il n’est qu’un des maillons de la chaîne animale ; la révolution issue de la psychanalyse, par laquelle Freud démontra au XXème siècle que l’inconscient a des raisons que le conscient ignore.

Fait important, l’esprit humain a toujours été taraudé par deux préoccupations : l’égoïsme et la peur de la mort. Tout comme la maladie perçue comme son antichambre, la mort est à la fois naturelle, quotidienne, aléatoire, universelle et indéterminée. A la certitude de mourir s’oppose l’incertitude de l’évènement. Aucune civilisation, aucune culture, n’a jamais su réaliser l’utopie de l’immortalité et de la jeunesse. La mort est une fin inévitable, nécessaire voire indispensable au perfectionnement de l’espèce. Face à cette inévitable fin dont nous avons constamment conscience, deux palliatifs ont été opposés : la procréation, nous permettant d’exister après notre mort, et la croyance à l’au-delà avec ses deux aspects : la réincarnation faite du passage de l’âme de corps à corps, et la résurrection faite du retour de l’âme au corps.

La peur de la mort et de la maladie justifie le caractère sacré et unanime de la santé considérée comme une priorité universelle et intemporelle dont l’abord est constamment imbibé d’affect surplombant la raison. Les prouesses de la médecine sont saluées et vantées, nourrissant nos espoirs de reculer les frontières de la mort et d’élargir l’espace de la santé. Les agents de santé sont autant admirés que critiqués. L’importance de l’apport des sciences exactes aux prouesses de la médecine, bien que considérable, ne doit pas faire oublier que l’être humain n’a jamais été un être exact. En outre, il nous faut une hygiène préventive du raisonnement nous amenant à ne jamais perdre de vue les fondamentaux en matière de santé : la santé n’est pas que médecine, la médecine n’est pas que traitement, le traitement n’est pas que médicament, et le médicament n’est pas substance chimique. En outre, il existe une nette différence entre soigner un malade et traiter une maladie. Enfin, deux excès sont à éviter en matière de santé : exclure la médecine, n’admettre que la médecine. Les causes de la mort sont dominées par deux pôles pathologiques en Afrique sub-saharienne : les maladies transmissibles et celles non transmissibles.

Les cas de deux anciens ministres français de la santé illustrent à merveille la différence entre santé et médecine. Léon Schwarzenberg, cancérologue de renommée mondiale, nommé au nom de l’ouverture à la société civile, fut viré par Michel Rocard au bout d’une semaine pour s’être comporté non pas en ministre de la santé, mais en ministre de la médecine ; Simone Weil, juriste de formation, fut probablement l’un des meilleurs ministres de la santé de la Vème république grâce à son approche holistique de la santé à considérer comme toujours connectée à tous les autres secteurs qu’elle nourrit et dont elle se nourrit.

La santé n’est pas que médecine. Hippocrate dans son Corpus datant de vingt-cinq siècles avait fait état des liens étroits entre d’une part les maladies que nous contractons et d’autre part l’air que nous respirons, les aliments que nous consommons et l’eau que nous buvons. Sa parente Hygie s’appesantissait sur les questions de salubrité et d’assainissement. Le mot hygiène vient de son prénom. Eugène Poubelle, administrateur à la tête de la préfecture de Paris à la fin du XIXème siècle, avait pris une mesure de haute portée sanitaire en interdisant à ses administrés de jeter les ordures par la fenêtre et de les recueillir plutôt dans des bacs. C’est de son nom que nous vient le mot poubelle. Les progrès techniques du XIXème siècle ont servi de socle à l’hygiène et à l’assainissement du milieu en Europe. Ces mesures, couplées à la vaccination, ont plus impacté l’espérance de vie (30 ans en 1810, 45 ans en 1900 et 79 ans en 2000 en Europe) que les prouesses des hôpitaux. Elles ont permis de vaincre de nombreuses maladies microbiennes, bien avant l’usage des premiers antibiotiques en 1938, et en marge des prouesses d’imagerie avec la radiographie en 1896, l’échographie en 1966, le scanner en 1971 et l’imagerie par résonance magnétique en 1981.

Il découle de ce qui précède que la médecine ne saurait être réduite au seul traitement. L’importance de la prévention nous rappelle que s’il est bien d’aller mieux, il est mieux d’aller bien. Pasteur, le père de la bactériologie, sciences des microbes, affirmait que le microbe n’est rien le milieu est tout. Porter le germe de la tuberculose est une condition nécessaire mais non suffisante pour développer la maladie. Celle-ci ne survient que si sont réunies les conditions nécessaires à la prolifération du germe : respiration d’un air pollué, promiscuité, malnutrition, toute autre cause de diminution des moyens de défenses de l’organisme. En outre, face au malade, le recours aux armes de construction massive de la médecine est impératif : écoute, empathie, bienveillance, don de soi, valorisation, autosuggestion (la conviction de guérir concourt à la guérison, méthode Coué).

Le traitement n’est pas que médicament et le médicament n’est pas que substance chimique. La médecine a fondamentalement pour but de restaurer la santé, en s’apposant à la nature. Sont incontournables les besoins naturels et nécessaires : manger, respirer, dormir. Il importe d’éviter d’être emballé par des chimères et avoir à l’esprit que les fortifiants n’ont souvent fortifié que leurs fabricants, que la pertinence d’une ordonnance est inversement proportionnelle à sa longueur, que le patient est dans la double posture de consulté et de consultant, et qu’il convient d’accepter notre condition humaine faite d’une évolution en cinq phases : naissance, enfance, âge adulte, vieillesse et décès. Longtemps apposée à la nature, la médecine est aujourd’hui nantie d’une autre mission, née de la liberté individuelle poussée à l’extrême, notamment dans les pays porteurs de la civilisation dominante : la modification de la morphologie d’une partie du corps par la chirurgie esthétique, le phénomène de transgenre, le choix du sexe et d’autres caractéristiques de sa progéniture, le tout posant de nombreux problèmes d’ordre éthique issus d’un bouleversement des valeurs et des normes.

Schématiquement, le futur médecin apprend à traiter les maladies dans les amphithéâtres de la faculté, et à soigner les malades à l’hôpital. Les deux concepts, bien que liés, ne sont pas forcément superposables, comme l’illustre le cas de Marco Van Basten, triple ballon d’or. Cet avant-centre du Milan AC a subi de nombreuses interventions chirurgicales de son genou, effectuées par de grandes sommités européennes. Le but de ces multiples interventions était de permettre une correction parfaite des ligaments lésés, compatible avec son statut de footballeur de haut niveau. C’est donc la quête d’un genou d’une fonctionnalité de 100% qui a justifié cette démarche thérapeutique, sachant qu’un médecin, un avocat ou un ingénieur (dont la sollicitation du genou relève d’activités de la vie quotidienne ordinaire) pourrait se contenter d’un genou d’une fonctionnalité de 70%. Ce n’est donc ni les ligaments, ni le genou, qui ont été opérés mais plutôt Marco Van Basten.

Blaise Pascal a fait état des deux excès à éviter dans toutes les circonstances : exclure la raison, n’admettre que la raison. On peut le paraphraser dans le domaine de la santé en évitant deux excès : exclure la médecine, n’admettre que la médecine. La santé est une affaire trop sérieuse et trop complexe, pour relever des seuls agents de santé. Les récentes épidémies nous ont rappelé son aspect tentaculaire et infiltrant et la nécessité d’un abord pluriel, chaque citoyen étant à la fois acteur et bénéficiaire des mesures prises pour endiguer la pandémie. De même, il convient d’éviter l’autre excès : s’ériger en expert auto-proclamé tout en n’étant pas du corps, oubliant l’extrême complexité du domaine auquel sont consacrées de nombreuses années d’études. Cette attitude est d’autant plus tentante que la santé est source de mobilisation de ressources, notamment financières, conduisant parfois les acteurs de tout bord à en oublier l’essence et la finalité : soulager la souffrance humaine.

Comme toujours, la mort résulte de maladies non ou mal maîtrisées par la médecine : Alexandre le Grand (356-323 avant JC), qui a régné sur le plus vaste empire jamais connu, est mort à 33 ans d’un paludisme sévère, la prévention et le traitement de cette maladie étant en son temps rudimentaires. Ronald Reagan est mort en 2004 à 93 ans d’une maladie dégénérative, la maladie d’Alzheimer, dont le traitement reste à découvrir.

La mort en Afrique sub-saharienne résulte aujourd’hui de deux pôles pathologiques : les maladies transmissibles (microbiennes et parasitaires), générées par le sous-développement et responsables de la forte mortalité de nos enfants, et les maladies non transmissibles (hypertension artérielle, diabète, cancers et maladies dégénératives), responsables de la mortalité des adultes et des sujets âgés. Au premier rang des maladies transmissibles figure l’une des plus anciennes affections du monde, le paludisme, dont les victimes ont le malheur d’habiter dans la ceinture de pauvreté du globe. Les maladies transmissibles sont combattues et évitées par la salubrité, la bonne alimentation, le bon cadre de vie et la vaccination, et les maladies non transmissibles par une hygiène de vie, notamment dans leur portion évitable. Le bilan de santé à effectuer annuellement à partir de 40 ans en permet une détection précoce en vue d’une action efficace. Aux maladies s’associe une autre cause majeure de mort en Afrique sub-saharienne, les accidents de la voie publique, véritable fléau méritant d’être combattu par une lutte plurisectorielle, menée aussi bien en amont qu’en aval.

De ce qui précède résultent les points saillants suivants : la santé est une affaire trop sérieuse pour dépendre des seuls acteurs de la santé ; les fondamentaux que représentent l’hygiène dans toutes ses composantes, la bonne alimentation et la vision positive de la vie doivent être constamment présents à l’esprit ; chacun de nous doit se considérer comme acteur principal de sa santé et en faire une priorité. C’est en agissant ainsi que nous aiderons à l’horizontalisation de nos rapports avec les agents de santé dont nous contribuerons à améliorer les performances. En outre, les piliers de l’art médical, tel que décrits par les pères de la médecine (Hippocrate, Maimonide, Avicenne et Pasteur notamment), restent inoxydables. Ils méritent d’être constamment revisités afin d’imbiber la pratique médicale quotidienne de l’indispensable sève d’humanité qui a toujours assuré sa noblesse.

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