Ces maladies pas franchement non transmissibles

La démarche médicale a longtemps reposé sur une classification des maladies en deux catégories, moulées par la peur de la mort et la crainte des incapacités : les maladies qui tuent et les maladies qui gênent. Les épidémies à travers leur charge mortelle ont longtemps impacté le profil démographique des populations, et centré les actions et préoccupations majeures de santé publique. Elles ont longtemps été, avec les guerres, les deux principales causes de mortalité à travers les continents. La découverte des microbes à partir du XIXème siècle leur a donné une assise rationnelle et consacré leur nature infectieuse. La victoire remportée sur elles grâce aux antibiotiques et à l’hygiène a eu pour effet l’allongement de l’espérance de vie. La contamination, faite de la transmission du microbe d’une personne malade à une personne saine, a conféré une place prépondérante aux maladies infectieuses dans le lot des maladies transmissibles, aboutissant à une forme abusive de synonymie. De même, l’essence non infectieuse des autres maladies a conduit à les considérer d’emblée comme non transmissibles, par une approche réductionniste rangeant au placard les modes de transmissions autres qu’infectieuses, et le rôle potentiel des infections dans la survenue lointaine de maladies d’allure non infectieuse. Or, la prise en compte des différents modes de transmission des maladies, infectieux comme non infectieux, est indispensable à leur prévention efficace.

La découverte des microbes a répondu à une préoccupation majeure de l’humanité, celle relative à une cause autre que métaphysique à des maladies. Elle donna un éclairage nouveau, même si très vite, on se rendit compte que la présence du microbe causal est une condition nécessaire mais non suffisante au déclenchement de la maladie. En effet, toutes les maladies, infectieuses ou non, sont multifactorielles, leur survenue dépendant de facteurs héréditaires, constitutionnels, environnementaux, culturels, nutritionnels, hormonaux, de même que du mode et du cadre de vie. Le port du microbe de la tuberculose ne détermine pas à lui tout seul le déclenchement de cette maladie. Celle-ci ne survient qu’une fois réunies les conditions nécessaires à la prolifération du microbe : dénutrition, déficit immunitaire, etc. Les maladies sans cause évidente sont rangées dans le chapitre de affections idiopathiques, primitives, essentielles, cryptogénétiques, tous ces épithètes illustrant notre ignorance jusqu’à la découverte d’une cause tangible. Bien évidemment, ledit chapitre qui leur est dédié va s’amincissant, au gré des découvertes.

Au rang des maladies « non transmissibles » figurent l’hypertension artérielle, le diabète, l’accident vasculaire cérébral (que favorisent notamment ces deux affections), l’infarctus du myocarde (crise cardiaque), les cancers, les maladies systémiques, la goutte, l’épilepsie, l’asthme et les allergies, et même la drépanocytose !

Le cancer de la prostate, le plus fréquent des cancers chez le sujet de sexe masculin, est aussi le plus familial des cancers, sa probabilité de survenue étant nettement plus élevée chez une personne dont un parent en a souffert. Sa survenue comporte de ce fait une dose de transmission héréditaire. Il en est de même de la goutte, même si ce n’est pas tous les descendants d’un goutteux qui en souffriront.

Le diabète, l’hypertension artérielle et le glaucome ont un mode de transmission en partie héréditaire. L’obésité qui favorise le diabète et l’hypertension artérielle est aussi transmise, ne serait-ce qu’en partie, selon un mode héréditaire. Elle est aussi favorisée par un régime alimentaire particulier (trop salé, trop sucré, trop gras), des habitudes culinaires pouvant relever d’une culture et d’une perception du monde, transmises par l’éducation ou le mimétisme. Il en est de même de l’abus de l’alcool et du tabac pouvant générer des cancers, notamment celui du poumon par le tabac, et celui du foie par l’alcool. Ainsi, même non directement transmises d’un malade au sujet sain par le biais d’un microbe, des maladies peuvent résulter de facteurs transmissibles par la culture, les habitudes, le mode de vie et l’hérédité. Tous ces facteurs sont à prendre en compte, dans l’adoption de mesures préventives.

Le cancer du foie résulte de deux causes majeures : l’alcool et les hépatites virales. Les hépatites virales B et C, maladies infectieuses par excellence, se transmettent par les secrétions et les liquides biologiques d’une personne malade à une personne saine. Il importe de se protéger de ce cancer en évitant l’alcool et en se vaccinant contre l’hépatite virale B, le vaccin de l’hépatite C étant à découvrir. La vaccination protège également du cancer du col de l’utérus, favorisé par une infection virale, due au papilloma virus humain.

La drépanocytose est de transmission exclusivement héréditaire, en lien avec une hémoglobine anormale. Ces conséquences sont dommageables, tant sur la mortalité que sur les handicaps qu’elle génère. L’importance de ces conséquences est telle que l’analyse biologique destinée à la détecter, l’électrophorèse de l’hémoglobine, fait partie du bilan prénuptial, permettant d’éclairer les futurs époux sur le risque encouru en présence d’une hémoglobine anormale.

Ainsi, par un abus de langage, on a assimilé les maladies infectieuses aux maladies transmissibles (dont le champ est nettement plus vaste) et par voie de conséquence les non infectieuses aux non transmissibles. Or, de l’analyse de toutes ces maladies, il découle une dose de transmission, valable pour les maladies non transmissibles, en raison de la multiplicité des facteurs concourant à la survenue des maladies. Ces facteurs, variables tant en quantité et en intensité d’un malade à l’autre, génèrent des maladies qui elles-mêmes sont d’un pronostic et d’une évolution variables d’un malade à l’autre. La variabilité biologique, caractéristique majeure du vivant, est constante aussi bien chez le bien portant que chez le malade. On doit de ce fait en tenir constamment compte.

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