« Si la santé n’a pas de prix, elle a un coût » Mars Di Bartolomeo

Le coût de la santé, en nette augmentation dans le monde, n’épargne aucun pays. Divers facteurs y concourent : allongement de l’espérance de vie, changements de mode vie (mauvaise alimentation, urbanisation, sédentarité, drogues), explorations liées aux innovations techniques, influence des grands groupes pharmaceutiques, importante place accordée aux biens matériels en ce troisième millénaire commençant. Le vieillissement de la population se traduit notamment par la réduction de la mortalité liée aux maladies infectieuses au profit de celle induite par les maladies non transmissibles. L’Afrique est en train de vivre cette transition pathologique, déjà connue de la Chine. Des maladies autrefois faussement rares et réputées être l’apanage de l’Occident, se révèlent ainsi fréquentes. Tout ceci concourt à l’augmentation des dépenses et donc des coûts de la santé. De même qu’on paie avec des vies et on paie pour des vies, de même la santé, consensuellement acquise au prix de tous les sacrifices, a constamment un coût.

Le coût de la santé rend indispensable l’instauration de la couverture maladie universelle. Celle-ci relève en même temps d’un souci d’équité, de paix et de cohésion sociale. Son mérite est de permettre la prise en charge des plus vulnérables, bénéficiant grâce à elle d’un paquet minimum de soins. Elle est en outre l’une des voies les plus efficaces de lutte contre l’irrégulier qu’incarnent les entités sauvages et le recours aux médicaments de qualité inférieure et falsifiés. Cependant, pour être viable et pérenne, la couverture maladie doit reposer sur un socle fait de choix en faveur des fondamentaux. Son effectivité est conditionnée par une offre de soins conséquente. Le système doit être encadré afin d’éviter les dérives faites de prescriptions de médicaments inutiles. Des maladies d’évolution spontanément bénigne ne doivent pas générer des dépenses, la gratuité ou la quasi-gratuité ne devant servir de socle à l’irresponsabilité. En outre, l’amélioration et l’élargissement de l’offre de soins s’accompagnent toujours d’une augmentation de la demande. Le nombre annuel de césariennes effectuées dans les formations sanitaires publiques au Togo est ainsi multiplié par cinq depuis l’instauration en 2010 de sa prise en charge par l’État. De même, l’ouverture d’un service de spécialité, par la détection de cas de maladies y afférentes, donne l’impression d’une augmentation de la fréquence de celles-ci.

Les coûts inhérents à une maladie sont schématiquement de trois types : les coûts directs (en lien étroit avec elle), les coûts indirects (en lien avec la non productivité qu’elle entraîne), et les coûts non marchands (aussi importants que les deux autres coûts mais échappant à une quantification monétaire). Les coûts directs intègrent ceux relevant de la prise en charge directe du patient : consultation, hospitalisation, examens complémentaires, traitements, etc. Les coûts indirects sont meublés par les pertes de productivité : arrêt maladie, retraites anticipées, prise en charge par la famille. Les coûts non marchands sont constitués des loisirs et des plaisirs entravés par la maladie : jeux, sorties, fréquentations d’amis, voyages, etc.  Tous les coûts sont d’autant plus élevés que la maladie est plus longue et ses conséquences plus handicapantes. Il en est ainsi de nombreuses maladies chroniques, présentes au chapitre des maladies non transmissibles et affectant avec prédilection des sujets dans la seconde moitié de la vie (diabète, hypertension artérielle, cancer, maladies mentales, maladies dégénératives).

Les progrès réalisés par la médecine depuis la seconde guerre mondiale sont en partie imputables aux multiples explorations d’ordre technologique. L’imagerie et le laboratoire en sont les principales illustrations. Ils sont utilisés aussi bien dans la mise en évidence de facteurs de risque de maladie (chez le bien portant), dans le diagnostic précoce de maladies avant leur traduction par de symptômes générateurs de plaintes, que dans le suivi et l’évaluation du traitement (chez le malade). Les différentes étapes de la démarche médicale se sont trouvées ainsi affinées. Ces explorations sont en partie aujourd’hui responsables de l’augmentation du coût de la santé, et du basculement de concepts, conférant le statut d’entreprise à l’hôpital et celui de client au patient. Ce basculement n’est pas sans inconvénient, la médecine perdant ainsi une partie de son âme, parce que devenue trop scientifique, trop technologique et trop coûteuse, avec toujours la même cible, l’homme, un être au mental fortement imbibé d’irrationnel. Ces considérations sont à prendre en compte, particulièrement en Afrique où le caractère limité des ressources impose de tirer le plus grand parti de la clinique, c’est-à-dire du bon sens et des organes de sens.

Schématiquement, l’augmentation du coût de la santé imputable à l’exercice de la médecine a trois origines : le recours à des explorations et à des traitements utiles, l’usage non pertinent des examens, le recours à des médicaments sans efficacité établie mais générateurs d’illusions. Des examens indispensables au diagnostic et au traitement peuvent être coûteux. Il en est ainsi de la scintigraphie, de l’imagerie par résonance magnétique et du scanner. De même, certains traitements utiles sont onéreux (réanimation, chimiothérapie, radiothérapie, greffe de moelle, greffe rénale, etc.).  Cependant, pour être utiles, les examens doivent être motivés et s’intégrer dans une démarche cohérente. Leur répétition doit être soumise à la même rigueur, basée sur l’intérêt qu’en tire le malade.  Il importe de rappeler le rôle incontournable de l’examen clinique, inauguré par l’interrogatoire, qui a pour socle l’écoute. Cet examen bien conduit, reposant autant sur la raison que sur l’intuition, évite la multiplication d’examens complémentaires inappropriés. Toute entité sanitaire revêtant désormais le profil d’une entreprise, des examens sont parfois prescrits sans pertinence, avec en toile de fond le souci de rentabiliser l’investissement afférent aux équipements. A ceci s’ajoute la fascination par l’image, source parfois de mirage , à la grande satisfaction du malade qui y trouve une explication à son symptôme, qu’il brandit désormais comme un trophée !

Des médicaments dépourvus d’une réelle efficacité mais sève nourricière d’illusions ont le vent en poupe dans l’opinion publique, notamment les fortifiants qui ne fortifient en réalité que leurs fabricants, les vitamines (notamment B et C à travers un détournement de leurs indications), et les veinotoniques utilisés contre l’insuffisance veineuse responsable de grosses jambes. Certains produits hautement nocifs font l’objet d’attrait d’une partie de l’opinion publique : il en est ainsi des produits visant à conférer à la peau une couleur artificielle, particulièrement en l’éclaircissant.

L’envahissement de la médecine par les sciences exactes et l’affinement de la démarche médicale par les examens, ont des conséquences d’ordre juridique : le médecin dans le souci de se protéger d’avoir laissé échapper un point qu’aurait mis en évidence un examen, multiplie les explorations par crainte d’être poursuivi.

Il est amusant de voir un cadre nanti, accordant une confiance absolue à la normalité des examens, venir en consultation se pavaner et brandir son récent « bilan de santé », effectué dans un hôpital de haut standing en Occident, et exempt d’anomalie. Il faut souvent de la ténacité pour amener un tel patient à la raison, ennuyé qu’il est par un interrogatoire minutieux dont il est convaincu de l’inutilité. Les examens ont ainsi généré une fascination si poussée qu’une synonymie entre leur normalité et l’absence de maladie a germé dans beaucoup d’esprits. La tendance à une autre synonymie est observée en thérapeutique, conduisant à arrimer le coût d’un traitement et son utilité !

Certains examens ont un résultat immuable, identique durant toute la vie. Ils ne sont donc pas à être répétés. C’est le cas du groupage sanguin et de l’électrophorèse de l’hémoglobine. Le résultat de ces examens fait souvent l’objet d’une carte. La mauvaise gestion de certains examens indéniablement utiles peut les rendre contre-productifs : il en est ainsi de l’échographie qui peut retarder la prise en charge d’un patient souffrant d’appendicite dont la moindre suspicion clinique impose le recours à la chirurgie pour mettre le malade à l’abri de complications et ce, quel que soit le résultat de l’échographie.

Sous différentes formes et pour différentes raisons, les dépenses de la santé iront sans cesse croissantes. Il convient cependant de s’efforcer de dépenser mieux et non de dépenser plus. La corrélation entre dépenses et amélioration de la santé n’est pas systématique, de même que celle entre utilité et coût d’un traitement ou d’une exploration. Le profil d’entreprise revêtu par l’hôpital et celui de client par le patient doivent être contrebalancés par le retour aux fondamentaux centrés par l’examen clinique imbibé d’empathie.

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