Discours prononcé le 08 mars 2023 par le Pr Moustafa Mijiyawa à l’ouverture du Congrès mixte de la Société Africaine de Rhumatologie et de la Société Togolaise de Rhumatologie

Merci infiniment à vous tous d’avoir répondu massivement présents à notre invitation portant sur le congrès mixte que s’honorent d’organiser, par une fusion du cœur et du cerveau, et un alliage de la raison et de l’intuition, la Société Africaine de Rhumatologie et sa consœur togolaise. Merci également à tous ceux qui, de près ou de loin, attachés aux vertus théologales que sont la foi, l’espérance et la charité, ont contribué à la tenue effective de ce congrès que le Togo se réjouit d’abriter.

Ce jour nous offre une occasion particulière, légitimant la répétition et le pléonasme, en lien avec un fait d’allure banale, mais nanti d’une forte portée symbolique : la cordiale bienvenue à vous tous souhaitée par mon collègue le Pr Oniankitan dont  je m’autorise à réitérer les propos, bien que sachant l’accueil relever de l’ADN que nous avons tous en partage dans cette salle, tel que relayé par les grands classiques africains : Camara Laye dans L’enfant noir, Amadou Kourouma dans Les soleils des indépendances, Abdoulaye Sadji dans Maïmouna, Chinua Achebe dans Le monde s’effondre, Ferdinand Oyono dans Le vieux nègre et la médaille, Sembène Ousmane dans Sous l’orage, Amadou Hampaté Ba dans L’étrange destin de Wangrin, Aimé Césaire dans Cahier d’un retour au pays natal, Eza Boto dans Ville cruelle, Cheikh Amidou Kane dans L’aventure ambiguë, Alain Mabanckou dans Bleu-Blanc-Rouge, Frantz Fanon dans Les Damnés de la Terre, Albert Memmi dans Portait du colonisé, Wolé Soyinka dans Le lion et la perle, Abdulrazak Gurna dans Paradise, et j’en passe.

En même temps, le 08 mars, date d’ouverture de notre congrès, célèbre la femme dont il convient de mettre un terme aux discriminations, aux inégalités et aux violences, l’éveil de la conscience collective relevant de deux faits historiques majeurs en lien avec le droit au vote :  le Woman’s Day en 1909 et la journée des femmes en Europe en 1910. Ces revendications nous interpellent d’autant plus que le secteur de la médecine est l’un de ceux où les discriminations contre les femmes ont longtemps été érigées en normes : l’accès à la profession a initialement été refusé aux femmes ; il a fallu 83 ans, en 1885, pour autoriser les femmes à se présenter au concours de l’internat des hôpitaux créé le 10 février 1802 par Napoléon Bonaparte ; et c’est seulement en 1910 que la France eut sa première agrégée de médecine. Fait remarquable, le Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES) a enregistré ses premières agrégées lors de ses tous premiers concours en 1982-84. L’on doit s’en féliciter tout en se gardant de tout enthousiasme enivrant, l’intérêt de toute médaille de bronze étant d’ouvrir la voie à une médaille d’argent puis à une médaille d’or dont l’exigence réside dans la pérennité de la performance.  Au Togo, l’importance d’une politique en faveur de l’émancipation des femmes et de la lutte contre les différentes formes de discriminations à leur encontre, tel que voulue par le Chef de l’État, se traduit par les facilitations accordées à la scolarisation de la jeune fille, aux dispositions juridiques visant à la protéger contre toutes les formes de violences, à la promotion de l’entreprenariat féminin, et à la présence des femmes aux postes élevés au sein des pouvoirs exécutif, législatif, et judiciaire.

La place de notre spécialité sur le continent, la rhumatologie, objet des présentes assises, est aujourd’hui incontestable. L’histoire qui y a cours peut schématiquement être scindée en trois temps : le temps des devanciers, le temps des spécialistes, et le temps de la spécialisation.

Le premier temps est celui de nos devanciers issus pour la plupart de la Faculté de médecine de Dakar, héritière de l’École de Médecine de l’Afrique Occidentale Française, créée en 1918. Ces devanciers, souvent internistes, ont effectué les premiers travaux auxquels les revues médicales Médecine d’Afrique Noire et Médecine tropicale ont servi de support. Le rôle de ces devanciers n’est pas sans rappeler celui des pères fondateurs de la rhumatologie au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, le neurologue de Sèze et le dermatologue Coste. Ces deux antécesseurs, par la seule clinique, notamment l’interrogatoire, ont conféré à la rhumatologie son contour et son contenu. Un éclairage nouveau fit jour, portant un coup de massue à la théorie des humeurs, en vogue depuis des siècles. Mais cette théorie selon laquelle les maladies tirent leur origine dans la présence de secrétions pathologiques dans le corps, a laissé des traces indélébiles : le radical « rh » dont est issu le mot rhumatologie et présent dans les mots rhume, rhinorrhée, diarrhée, leucorrhée, Rhin, Rhône, … signifiant couler.

Le deuxième temps est celui des premiers spécialistes formés essentiellement en France, à l’origine de l’ouverture des tous premiers services de rhumatologie dans nos pays, à partir des années 1980. Ces pionniers dont le grand-frère Marcel Kouakou N’zué est la parfaite incarnation, placés à la tête de services nouvellement créés dans les hôpitaux, se sont substitués, dans nos facultés, aux missionnaires venant des universités étrangères. Les résultats de leurs travaux, portés à la connaissance de la communauté rhumatologique mondiale, ont attesté de l’extrême richesse de la pathologie rhumatismale africaine. La rareté de certaines affections s’est ainsi trouvée démentie, confondue qu’elle était à celle des spécialistes aptes à les détecter. Des cas monumentaux de goutte tophacée, analogues à ceux de Charles Quint et de Louis XIV, ont ainsi été rapportés.

Le troisième temps est celui de la formation de spécialistes sur place, élargissant progressivement l’éventail de l’expertise en la matière, et par voie de conséquence l’accès aux soins rhumatologiques à un nombre croissant de la population. Ce troisième temps est aussi celui de la naissance et de l’essor des sociétés savantes destinées au partage d’expériences et à la formation continue, l’imprimé étant rapidement périmé. C’est le lieu de saluer les éminents collègues et experts qui ont répondu à notre appel, en acceptant de rehausser l’éclat de notre congrès, par leurs conférences et leurs interventions selon le mode virtuel ou physique. Kodjo Akposso, Richard Trèves, Xavier Chevalier et Gustave Nébié, veuillez trouver ici l’expression de notre sincère gratitude.

Cette évolution en trois temps est parfaitement arrimée à la transition pathologique, satellite de la transition démographique que connaît notre continent. L’allongement de l’espérance de vie se solde déjà ici comme ailleurs, par une augmentation de la prévalence des maladies non transmissibles, dont les rhumatismes sont une composante essentielle. La proportion d’arthrosiques ira croissante, de même que celles des tumeurs primitives et secondaires et des connectivites, le tout associé à des comorbidités, de mieux en mieux détectées en raison de l’amélioration du plateau technique et de la qualité des ressources humaines. La prise en compte de ces données est à l’origine de la politique sanitaire en vigueur au Togo, faite d’une composante relative à l’accès universel aux soins, auquel un ministère délégué est dédié. De ces données découlent de nombreux défis que la mise en commun de nos intelligences et de nos bonnes pratiques permettra de relever. Ceci est d’autant plus réalisable que notre pratique rhumatologique ne se départira pas des fondamentaux qui de tout temps ont anobli l’art médical :

  • s’extraire du diktat de l’immédiateté et du cumul caractéristique de ce troisième millénaire commençant ;
  • se soustraire du nivellement par le bas, et s’opposer à la force de l’inertie propre à notre environnement ;
  • se garder d’être impressionné par son seul titre et par le seul nombre de ses années d’études, et s’en servir comme un moyen et non comme une finalité ;
  • arrimer la pratique médicale à la formation de nos jeunes, le savoir non partagé relevant d’une injustice ;
  • se prémunir de la malédiction déjà en vogue sous le règne de Soundiata Kéita, lancée contre celui qui croit augmenter son pouvoir en refusant de partager son savoir ;
  • intégrer notre approche rhumatologique dans son environnement, sur le double plan des ressources allouées et des objectifs assignés.

C’est convaincu de votre attachement à ces fondamentaux que je déclare ouvert le congrès mixte de la Société Africaine de Rhumatologie et de la Société Togolaise de Rhumatologie auquel je souhaite le plus grand succès.

Je vous remercie de votre bienveillante attention.

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