Des figures marquantes de l’histoire de la médecine

En médecine comme dans les autres professions, l’histoire est jalonnée de faits saillants, issus du hasard et de la nécessité, ainsi que de l’apport d’hommes et de femmes d’exception dont le génie éclaira le noble art. Toutes les époques ont connu leurs héros, souvent issus du corps médical, parfois du monde scientifique, presque toujours d’hommes et de femmes de culture. Le poids tyrannique exercé par la pensée de ces héros sur le noble art leur a conféré une infaillibilité souvent durable, étalée sur des siècles, avant d’être érodée et même évincée par de nouvelles découvertes. Mais revisiter leur parcours est toujours instructif, car truffé de leçons d’autant plus actuelles que la profession est l’objet de nombreux questionnements en lien avec l’éthique, dans une société soumise au diktat de l’immédiateté, du cumul et du paraître, en quête de repères et où les hommes, souvent pressés de vivre, paraissent éluder le mystère.

Hippocrate (460 à 377 avant JC), est issu d’une longue lignée de prêtres-médecins divinisés incarnés par l’ancêtre Appolon, père d’Asclépios (Esculape), dont la descendance était chargée d’assurer la pérennité de l’œuvre du père. Hygie, une des cinq filles d’Asclépios, assurait la prévention des maladies (le mot hygiène en est dérivé), et sa sœur Panacée, symbolisait la guérison de tous les maux par les plantes (d’où l’expression « Ce n’est pas la panacée »). L’approche hippocratique se singularisa par trois faits marquants : la rupture d’avec la conception métaphysique de l’origine des maladies qu’il aborde de façon rationnelle, l’importance de l’observation issue des organes de sens, et les considérations éthiques. Déjà très réputé de son vivant, cité par Platon et Aristote, il devint une légende après sa mort (le serment qui porte son nom en est la parfaite illustration).

Claude Galien (129-200 avant JC) est le fils d’un architecte très cultivé et très intéressé par la logique, les mathématiques et l’astronomie, auquel Asclépios, dieu grec de médecine, révéla lors d’un songe, l’avenir professionnel de son fils. Il commença ses études médicales à 17 ans à Pergame, sa ville natale, puis mena de nombreuses pérégrinations avant son retour à Rome où il devint médecin de l’empereur Marc-Aurel. Il est l’auteur d’une œuvre encyclopédique de plus de 500 ouvrages tous rédigés en langue grecque, qu’il reconstitua suite à un incendie. A l’instar d’Hippocrate, il considère le corps humain comme composé de quatre éléments primitifs (eau, terre, air, feu) et de quatre éléments liquides (sang, pituite, bile, atrabile). L’isolement des malades contagieux lors des épidémies, la recherche d’un signe pathognomonique dans chaque affection, l’intérêt de l’observation clinique et de l’expérimentation sont à mettre à son actif.

Médecin, philosophe, théologien, rabbin, Maïmonide, fils de rabbin né en 1185 à Cordoue en Andalousie (Espagne), est pour certains le plus grand penseur juif de tous les temps, après Moïse bien sûr. Homme pieux et de grande valeur morale, célibataire sans progéniture, médecin appointé à la cour de Saladin le Magnifique, il est l’auteur de nombreux ouvrages touchant à la philosophie, à la théologie, aux mathématiques, et à la médecine. Au rang de ses écrits, figure La prière de Maïmonide, dont la densité éthique est à hisser au rang du serment d’Hippocrate. Asthmatique, Maïmonide mourut d’une insuffisance cardiaque

Fils d’un tanneur, personnage austère et génial, bourreau de travail, amoureux de l’ordre et de la discipline, doté d’un remarquable talent artistique, bachelier en lettres puis en sciences, normalien à 21 ans, Louis Pasteur (1822-1895) fut à la fois un microbiologiste, un naturaliste, un biologiste, un lithographe, un agronome, un chimiste, un biochimiste, et un professeur à la descendance peu féconde. Célèbre par ses travaux sur la fermentation, destructeur du mythe de la génération spontanée (apparition, sans ascendant, d’êtres vivants à partir de la matière inanimée), il fut l’auteur de travaux portant sur l’étude et rôle des microbes, les conceptions novatrices dans les domaines de l’asepsie et de l’antisepsie, et la mise au point de la vaccination. Cependant, le fait qu’il n’était pas médecin lui cause d’énormes difficultés à faire admettre ses conceptions microbiologiques auprès du corps médical. C’est à l’occasion de son accession à la tête de la faculté des sciences de Lille nouvellement créée qu’il prononça la phrase restée célèbre : « Dans les champs de l’observation, le hasard ne favorise que les esprits préparés ». Son père, après avoir été sergent de l’armée napoléonienne, reprit la profession familiale de tanneur. A sa mort, sa famille déclina la proposition de l’inhumation au Panthéon.

Issu d’un milieu modeste et paysan, Claude Bernard (1813-1878) connut un parcours scolaire et universitaire sinueux (baccalauréat laborieusement acquis après un premier échec, admission de justesse au concours de l’internat (26ième sur 29), échec au concours d’agrégation) qui fut sans influence notable sur les travaux qui feront de lui le plus illustre physiologiste du XIXème siècle. La fonction glycogénique du foie fut la découverte majeure de son parcours truffé de nombreuses décorations et élections académiques : prix de physiologie expérimentale de l’Institut en 1845, chevalier de la légion d’honneur en 1849, Académie des Sciences en 1854, Académie de médecine en 1861, Académie française en 1869, et sénateur sous l’Empire en 1869. Il fut l’objet de funérailles nationales à sa mort le 10 février 1878. C’est la première fois qu’un scientifique reçoit un tel honneur. Sa vie conjugale fut par contre un fardeau. Son mariage sur le tard en 1845 avec Marie-Françoise Martin, fut une union ratée, faisant dire à Émile Zola que Claude Bernard « fut un martyr de la vie conjugale ». S’il  reproche à son épouse d’avoir préféré ses animaux à ses fils, de son côté, elle dresse ses filles contre leur père. Leur séparation est prononcée en 1869.

Bien qu’appartenant à des époques différentes (Antiquité pour Hippocrate et Galien, Moyen-âge pour Maïmonide, Époque contemporaine pour Pasteur et Claude Bernard), ces personnages ont en commun le fait d’avoir une intelligence plurielle, réceptive aux différents champs du savoir connectés les uns aux autres, intégratrice aussi bien de sciences humaines que de sciences exactes, le tout faisant servant de socle à un abord toujours humain des concepts et de leur mise en œuvre. Tous étaient des philosophes, selon la conception en vigueur et magnifiée à la Renaissance, où le Pic de la Mirandole nanti d’un cerveau encyclopédique, incarnait tout le savoir de son temps. L’approche que ces grands et ces anciens avaient de la médecine en assurait la noblesse et l’humanité, et mérite d’être revisitée en ce troisième millénaire commençant, marqué par le diktat de l’immédiateté et de l’enrichissement matériel.

Hippocrate et Galien sont les deux plus grandes figures de la médecine antique dont ils incarnent le mode de transmission et d’apprentissage. Les impératifs du métier imposent un moulage dont la précocité frise une transmission quasi-héréditaire. Ce mode de passage de témoins de père en fils a prévalu jusqu‘au XXème siècle, notamment en France, où était inadmissible l’échec du fils d’un professeur au concours de l’internat des hôpitaux. Bien qu’Hippocrate teintât fortement la pratique médicale de l’examen et de l’observation cliniques, l’art de soigner de son temps était indissociable du sacré, du religieux et des croyances. La place du maître, détenteur et transmetteur de l’art, était hissée au plus haut niveau de l’échelle sociale.

Claude Bernard et Pasteur sont des transclasses : issus d’un milieu modeste, ils se sont hissés, par le biais de l’instruction, au sommet de la hiérarchie sociale. C’est dire l’importance de la détermination, de la ténacité et du courage dans un parcours. C’est aussi rappeler l’intérêt de savoir se prendre en charge, de ne rien attendre de personne, et de transformer, en une source d’énergie inépuisable, la riche pauvreté matérielle du milieu dont on est issu. C’est avec hésitation que Pasteur, jeune professeur à Strasbourg, mais conscient de son antécédent familial de tanneur, aborda la fille du recteur qu’il épousa par la suite.

Les échecs de Claude Bernard, d’abord au baccalauréat puis au concours d’agrégation, prouvent les limites des évaluations scolaires et universitaires auxquelles sont soumis les apprenants. Ils prouvent également l’intérêt que revêtent le rejet du renoncement et de la résignation, les vertus arrimées aux échecs, et l’absence de synonymie entre « avoir raté » et « être un raté ». Le cas de Claude Bernard rappelle celui d’Abraham Lincoln, les deux donnant raison à Winston Churchill pour qui « le succès consiste à aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme ».

De toute vie, et à fortiori de celle des grandes figures de l’histoire, pourraient être tirées des leçons. C’est d’ailleurs l’une des vocations de l’histoire : enseigner puis revisiter le passé, le ressasser pour finalement le dépasser. C’est la raison pour laquelle l’histoire demeure une composante essentielle des humanités et de la culture générale.

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