Discours d’ouverture du 63ième congrès du Collège Ouest-Africain des Chirurgiens à Lomé, prononcé le 20 mars 2023 par le Pr Moustafa Mijiyawa

Nous voici réunis dans cette salle, filles et fils de ce continent, berceau de l’humanité, dont la partie occidentale a été rythmée, moulée et animée par les grands empires qui à partir du Moyen-Âge ont, par la conjonction du hasard et de la nécessité, déterminé les migrations à l’origine des peuplements de nos États actuels : l’empire du Ghana au IVème siècle, entre les deux boucles des fleuves Niger et Sénégal, l’empire du Mali au XIIIème siècle, de l’Atlantique au pays Songhay et marqué d’une empreinte indélébile par Soun Diata Kéita puis  Kankan Moussa, l’empire Songhay aux XVème et XVIème siècles, s’étendant sur une partie du Mali, du Niger et  du Nigeria actuels, les royaumes Mossi constitués au XIIème siècle et centrés par celui de Ouagadougou, avec la figure emblématique du Morho Naba, les États du Soudan central et du bas-Niger ayant prospéré du XIIIème au XVIème siècles et constitués des empires de Kanem, de Bornou, des cités-États Haoussas, des États Yorouba et du royaume du Bénin. Ce rapide survol de l’histoire a le mérite de rappeler notre commune identité, l’héritage et le socle culturel que nous avons en partage, fait du sceau de l’hospitalité et de l’accueil et pouvant de ce fait me dispenser de vous souhaiter, au nom du Gouvernement togolais, une cordiale bienvenue, comme si vous n’étiez pas chez vous, sans céder à la tentation de laisser l’artificiel issu de la Conférence de Berlin de 1884 surplomber le naturel remontant à la nuit des temps !

La présente session du Collège Ouest-Africain de Chirurgie, la 63ième du genre, que le Togo se réjouit d’abriter, consacre et confirme votre volonté d’être en phase autant avec l’histoire qu’avec la géographie de votre spécialité, reposant sur une finesse et une dextérité digitales téléguidées par le maître cerveau sur son chirurgien perché.

L’arrimage au temps remonte à la Préhistoire : premières cicatrices de trépanation retrouvées sur des squelettes datant du Néolithique ; interdiction de la dissection par Confucius en Chine ; réparateurs de nez en Inde chez des prisonniers, des femmes adultères et des auteurs de délits dont la peine consistait en la résection de cet organe ; connaissance de l’anatomie sur des momies chez les Égyptiens ; plaidoyer par Hippocrate en faveur du recours au bistouri pour des maladies résistantes aux remèdes ; dénonciation de la chirurgie considérée comme barbare par l’église catholique au Moyen-Âge ; accession des chirurgiens au statut de médecins au XVIIIème siècle ; état quasi-stationnaire de la chirurgie pendant vingt-cinq siècles, jusqu’à la découverte de l’anesthésie en 1850 ; chirurgie d’abord dominée par l’ablation de l’organe malade durant le XIXème siècle ; puis chirurgie réparatrice, conservatrice, plastique, reconstitutive, prothétique, et de moins en moins invasive aux XXème et XXIème siècles, aidée notamment en cela par  l’imagerie et le numérique : radiographie en 1895, échographie en 1966, scanner en 1971, imagerie par résonance magnétique en 1981, santé digitale dès les années 2000. Trop loin a parfois été l’exploitation de ces indispensables outils d’aide au diagnostic et au traitement, sans pour autant éroder la charge sémiologique des aphorismes et des métaphores qui ont longtemps pesé sur la pensée médicale : le caractère pathétique de la colique hépatique, le caractère frénétique de la colique néphrétique, la douleur de part en part de l’ostéomyélite au début, le drame pancréatique de Dieulafoy fait d’un coup de tonnerre dans un ciel serein chez un sujet en pleine santé apparente, au décours d’un repas riche et arrosé !

L’arrimage de votre démarche à la géographie n’est pas sans rappeler les cinq étapes de toute vie professionnelle : apprendre à faire, faire, montrer comment faire, faire faire et laisser faire. Faire, c’est-à-dire agir, nous connecte au contexte et aux besoins de nos populations auxquels sont assujetties toutes les actions gouvernementales, notamment celles en vigueur au Togo, conformément à la vision du Chef de l’État. Montrer comment faire repose sur le partage tant du savoir qu’on détient que de l’expérience vécue, ce dont témoigne la tenue des présentes assises. Les énormes besoins en chirurgie sont dominés par les traumatismes liés aux accidents de la voie publique dont notre continent détient le triste record, la chirurgie obstétricale (trop de femmes mourant en donnant la vie), les cancers, notamment ceux du sein, du col de l’utérus et de la prostate (ce dernier étant plus fréquent, plus précoce et plus sévère chez les Noirs que chez les Blancs), et bien sûr les urgences abdominales (malheureusement prises en charge à un stade souvent trop avancé). C’est dire le vaste chantier qui est le nôtre en matière de chirurgie, justifiant les efforts consentis par le Gouvernement dans la construction de nouvelles entités, la réhabilitation et l’équipement des entités existantes, la formation et le recrutement d’agents de santé, le rapprochement de la population d’éminents experts dont nous nous attelons à l’équitable répartition, les actions en amont visant à prévenir les maladies évitables par la vaccination, à l’instar de celle contre le papilloma virus humain et l’hépatite virale B. Je me réjouis de la fluidité du dialogue mené ces dernières années entre le ministère de la santé et les facultés des sciences de la santé et dont les fruits sont déjà perceptibles sur le terrain.

Nul n’est besoin de rappeler l’importance du maillon qui est le vôtre, celui de la chirurgie, dans la chaîne sanitaire. Hommage doit vous être rendu de partager vos expériences, à travers cette auguste institution qu’est le Collège Ouest-Africain de Chirurgie. Ce partage de bonnes pratiques, fondé sur les nobles vertus d’humilité et d’honnêteté, va pérenniser l’ancrage de trois idéaux dont seraient ravis aussi bien Hippocrate que le philosophe et chirurgien Henri Mondor :

  • Accorder autant d’importance au pré et au post-opératoire qu’au per-opératoire en se gardant de limiter l’art chirurgical à la seule dextérité digitale, et penser constamment à l’intérêt qu’en tire le malade : ainsi un cancer généralisé justiciable d’un traitement palliatif ne saurait être l’objet que d’une abstention ou tout au plus d’un acte à minima concourant au bien-être du patient ;
  • Opérer le malade et non l’organe. Le cas de Marco Van Basten est à ce titre parfaitement illustratif. Son genou siège de lésions ligamentaires a été l’objet de plusieurs interventions par les meilleurs orthopédistes, en quête d’une parfaite fonctionnalité indispensable à son statut de sportif de haut niveau. Les mêmes lésions auraient certainement été l’objet de moins d’exigences chez un malade exerçant une profession non conditionnée par des genoux de plein exercice. Ce n’est donc pas le genou qui a été opéré à maintes reprises, mais plutôt le triple ballon d’or que fut Marco Van Basten ;
  • Ne pas céder à la sirène du diktat de la société du cumul et de l’enrichissement massif caractéristique de ce troisième millénaire commençant où les hommes, pressés de vivre, paraissent éluder le mystère. L’adhésion de collègues à la mise à disposition d’implants dans les pharmacies de nos hôpitaux afin de les rendre accessibles aux malades, est à saluer et à encourager. Ceci répond parfaitement à une des préoccupations majeures du Gouvernement, l’effectivité de la couverture maladie universelle, en phase avec votre récente mission foraine à Elavagnon, à travers laquelle de nombreux malades souvent démunis furent opérés par des experts présents dans cette salle.

A travers cette démarche et les efforts consentis par les uns et les autres, notamment le comité d’organisation de ce congrès et les bonnes volontés que je félicite au nom du Gouvernement, il est permis de penser que seront fiers de nous, de l’endroit où ils sont, les pères de la chirurgie togolaise : le bienveillant Ohin, le cultivé Vovor, le méthodique Nakpane, le rigoureux Kékéh, le dévoué Bitho, et le franc Homawoo. C’est convaincu de leur bienveillant et spirituel regard que je déclare ouvert le 63ième congrès du Collège Ouest-Africain de Chirurgie auquel je souhaite le plus grand succès.

Je vous remercie de votre bienveillante attention.

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *