La sérendipité : le hasard et la chance au chevet de la médecine

Toujours hissée au sommet des métiers nobles, la médecine a constamment été soumise à des exigences à la hauteur de sa mission, consistant à ajouter des années à la vie et à ajouter de la vie aux années. Ces exigences affectent aussi bien la sélection des apprenants que l’exercice de la profession. La rapide obsolescence des connaissances rend nécessaire la formation continue, arrimée à la recherche dans ses versants fondamental et appliqué. L’intrication de soins, de la recherche et de l’enseignement a servi de socle aux tâches exigées des hospitalo-universitaires, objet de la loi Debré de 1958 en France.

Comme les autres secteurs d’activités, la réussite en médecine est étroitement liée au goût de l’effort, à la détermination, à la ténacité, au refus du renoncement, au rejet de la résignation, à la répétition, et à la capacité de tirer des leçons de ses échecs, sève nourricière de la perfectibilité. Il est établi à travers l’histoire que ces paramètres augmentent les chances de succès, le hasard ne favorisant que les esprits préparés, comme l’affirmait Pasteur. Les parcours de Soundiata Kéita et d’Abraham Lincoln illustre parfaitement l’intérêt que revêtent la ténacité et le refus du renoncement. Jacques Attali va jusqu’à minimiser le rôle du génie (talent inné et spontané) au profit de celui de l’acharnement au travail. Voilà pourquoi l’éducation s’attelle à assurer l’ancrage de ces qualités (le cœur constamment à l’ouvrage) dès le bas âge. Mais ici comme ailleurs, le hasard et la chance jouent parfois un rôle aussi déterminant qu’insoupçonné, à l’origine de fulgurants progrès imprimant un tout autre visage à la profession : c’est le principe de la sérendipité faite d’une découverte inattendue surgissant sur une voie initialement dédiée à un tout autre sujet.

La découverte des microbes puis de la vaccination par Pasteur a résulté d’une démarche délibérée, ouvrant à l’homme l’univers de l’infiniment petit. Par contre, celle du premier antibiotique, la Pénicilline, par Fleming, relève du hasard. Dans son laboratoire où il cultive sur des boîtes dédiées des souches de microbes responsables d’infections généralisées et souvent mortelles, Fleming, de retour de vacances au printemps de 1928, constate avec étonnement la destruction complète des souches de microbes de la seule boîte contaminée par une moisissure verte. Après analyse, il observe que la moisissure, mise en contact avec le microbe, produit une substance dotée de la propriété de le détruire, qu’il nomme Pénicilline. Se trouve ainsi ouverte l’une des plus fascinantes périodes de la médecine, lui permettant de venir désormais à bout de nombreuses maladies infectieuses.

C’est aussi fortuitement que furent découvertes en 1945 les céphalosporines de troisième génération : le directeur de l’Institut d’Hygiène de Calgari, en Sardaigne, constatant qu’à la sortie d’une bouche d’égout, l’eau devenait beaucoup plus claire qu’en amont, fit des prélèvements dans lesquels il découvrit la présence d’une moisissure, Cephalosporium acremonium, qui se révéla produire un antibiotique très efficace, la céphalosporine C.

De même, accidentelle a été la découverte de l’amélioration de l’état des patients souffrant de la maladie de Parkinson ayant reçu de l’Amantadine pour prévenir la grippe. Il en a été également ainsi  de la réduction de la fréquence des attaques de la fièvre familiale méditerranéenne par la Colchicine, administrée contre la goutte. La valeur de ces traitements, désormais consacrée contre ces deux affections, n’a pas été prédite par la compréhension du mécanisme de ces maladies.

Le Viagra (Sildénafil), produit phare contre le dysfonctionnement érectile, était à l’origine utilisé dans le traitement de l’angine de poitrine. Très vite, les médecins se rendirent compte que ce produit avait comme effet secondaire une forte tendance à l’érection, ouvrant la voie à une nouvelle classe thérapeutique. Le Minoxidil, vasodilatateur indiqué dans le traitement de l’hypertension artérielle, connut un scénario analogue. Il est aujourd’hui utilisé contre la calvitie, les patients chauves traités pour leur hypertension voyant leurs cheveux repousser.

L’effet hypotenseur de la Clonidine (Catapressan) a été découvert chez des patients auxquels elle était administrée commedécongestionnant nasal. Elle fut par la suite utilisée comme antihypertenseur, bien avant que des études n’en précisent les effets de la stimulation des récepteurs adrénergiques alpha-2.

Les exemples ci-dessus ont concerné de nombreux autres produits pharmaceutiques : l’antituberculeux Isoniazide, de nombreux médicaments psychotropes (barbituriques, tranquillisants, anxiolytiques, antidépresseurs) et des anticancéreux. Le pacemaker est né d’une erreur de manipulation : un ingénieur désireux de créer un appareil destiné à enregistrer les battements du cœur, plongea sa main dans un lot de composants électriques, mais se trompa de modèle ; l’appareil émit des impulsions électriques au lieu d’enregistrer les battements cardiaques ; l’ingénieur se demanda alors si ces impulsions ne pouvaient pas avoir un effet d’entraînement sur le cœur : le pacemaker venait d’être inventé.

Le rôle du hasard dans de décisives découvertes déborde largement le strict cadre de la médecine qui est loin de détenir le monopole de la sérendipité.  Le rugby a pris naissance en 1823 un jour où, lors d’une partie de football, l’élève William Webb Ellis se mit à courir avec le ballon dans ses bras. Le champagne fut d’abord un accident de cuve, un vin manqué, trop sucré et acide. Christophe Colomb ne voulait pas découvrir l’Amérique, mais cherchait à ouvrir une nouvelle voie maritime vers les Indes ou la Chine. L’erreur qu’il commit le conduisit sur l’île de San Salvador, antichambre du continent américain.

Ainsi, des facteurs divers et variés, dont un bon nombre sont hors du champ de la prévisibilité et de la prédictibilité, concourent aux succès et aux découvertes en médecine comme ailleurs. Ces facteurs relèvent à la fois du rationnel, de l’empirisme, de l’attention, de la ténacité, du détachement, du relâchement, de l’ouverture d’esprit, de l’humilité et de la prise en compte des vertus de l’échec et du caractère mouvant des paramètres (l’essentiel pouvant subitement devenir accessoire et inversement). Les mêmes facteurs modulent les carrières et les parcours individuels dont le couronnement, même des plus brillants, est régi par une dose de hasard, socle et sève nourricière de la sérendipité, que convertit en opportunité l’esprit aguerri.

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