Avoir une maladie ou être malade
La démarche du médecin est souvent enclenchée par sa rencontre avec le patient désireux d’exposer son mal être afin d’y trouver un remède. Le vécu et le ressenti du malade sont donc déterminants pour susciter sa rencontre d’avec le médecin. Pendant longtemps, l’on a désigné ce ressenti sous le vocable de symptôme dont la description est modulée par le vécu, la culture, la personnalité et la perception que le malade a de la vie. Symptôme s’est longtemps distingué de « signe », élément objectif observable par le médecin lors de l’examen du malade (démarche, élocution, vocabulaire, habillement, mimique, cicatrices du visage, déformation d’un membre, modification de la couleur de la peau, etc.). Les deux groupes de données sont assemblées au terme de l’examen du malade pour évoquer des hypothèses diagnostiques. Ces données sont absolument complémentaires, l’absence de symptôme servant de socle au retard à la consultation et donc à l’examen permettant la collecte des signes, et de ce fait au diagnostic et au traitement.
La douleur est le plus saillant de tous les symptômes générés par les maladies. René Descartes en a pris conscience, au point de faire mention de son utilité, en tant que signal d’alarme. L’absence de corrélation systématique entre sa présence ou son intensité d’une part, et le pronostic de la maladie d’autre part, est l’un des problèmes majeurs auxquels est confrontée la démarche médicale. Ainsi, de nombreuses maladies préoccupantes sont exemptes de douleur ou de symptôme apparenté à leur phase de début : il en est ainsi de l’hypertension artérielle, du diabète, du cancer, du VIH/SIDA, de la cirrhose, du glaucome. Ces maladies, initialement dépourvues de symptôme alarmant, font du patient un malade qui s’ignore. Elles revêtent un caractère chronique, car s’étalant souvent sur une longue durée. C’est à leur propos que semble bien adaptée l’expression « Avoir une maladie ». A leur phase précoce (tout en sachant que la date exacte de début est pratiquement impossible à déterminer), elles sont reconnues au terme d’une recherche systématique, menée chez un sujet bien portant. C’est l’intérêt du « bilan de santé » qui permet en outre la mise en évidence de facteurs de risque. Le décès du Général de Gaulle survenu le 09 novembre 1970, était consécutif à la rupture de l’anévrysme de l’aorte abdominale dont il se savait porteur, associé à d’autres atteintes en lien avec la maladie de Marfan. La chronicité couplée à l’ignorance peut conduire à assimiler une maladie ou un facteur de risque à un état normal voire souhaité : il en est et en a été ainsi de l’obésité considérée comme un signe de bien-être et d’aisance sociale.
Le lot des maladies chroniques initialement dépourvues de symptômes, pose par la suite un problème de suivi. Celui-ci repose sur la collecte de paramètres recueillis à un rythme défini (rendez-vous de consultations) et permettant de juger de l’efficacité du traitement. Le malade doit activement prendre part à la gestion et au suivi de sa maladie, à travers des échanges fructueux et horizontaux avec le médecin. Ce genre d’échanges couplés au numérique alimentent les discussions d’associations de malades, qui, au fil du temps, se sont constituées en un important maillon de la chaîne de l’offre de soins.
Avoir une maladie chronique suivie et traitée sur une longue durée, prépare souvent les esprits à l’issue fatale en cas de pronostic grave, et suscite moins d’émoi que le passage brutal de vie à trépas d’un bien portant en cas de maladie aiguë, source d’envahissement brutal de l’esprit par le mystère inhérent à la mort.
Le mode inaugural brutal d’une maladie permet au malade de se savoir d’emblée malade et de se considérer comme tel. L’auxiliaire être trouve ici sa pleine expression. C’est le propre des affections aiguës, meublant souvent les services d’urgence. Il en est ainsi de la crise cardiaque, des accidentés de la voie publique, de l’accident vasculaire cérébral, des infections, de l’appendicite, souvent objet d’une prompte consultation. Il en est également ainsi des épidémies dont la rapide expansion et la forte mortalité nourrissent de nombreuses spéculations et de multiples hypothèses, notamment celles relatives à un châtiment divin, visant à nous recadrer dans le droit chemin. Ces épidémies conduisent aussi à la stigmatisation et à la recherche de bouc émissaire. Tel fut le cas de la lèpre au Moyen-Âge, de la syphilis à la Renaissance, de la tuberculose et du choléra au XIXème siècle, et du SIDA et de la Covid-19 au XXème. L’épidémie de peste survenue à la Renaissance en Europe a influencé le langage courant : l’éternuement en étant un symptôme, sa survenue chez une personne la faisait d’emblée redouter cette hypothèse, au point de lui souhaiter le salut éternel : telle est l’origine de l’expression « A vos souhaits », adressée à la suite d’un éternuement. Des descriptions métaphoriques ont été issues d’affections aiguës : la crise de la pancréatite aiguë (drame pancréatique de Dieulafoy) a ainsi été assimilée par Henri Mondor à « un coup de tonnerre dans un ciel serein, chez un sujet en pleine santé apparente, au décours d’un repas riche et arrosé ».
Il résulte de ce qui précède que toute personne malade a une maladie, mais toute personne ayant une maladie n’est pas forcément malade. La formule de Jules Romains selon laquelle tout bien portant est un malade qui s’ignore, revêt ainsi tout son sens. Autant la médecine dispose de moyens permettant de reconnaître une maladie chez un sujet, autant elle est incapable d’affirmer de façon absolue la parfaite santé d’une personne. Paul Valéry a eu raison d’assimiler la santé au silence des organes. Tout ceci impose à la médecine une dose de modestie, en dépit de ses prouesses et de ses progrès, qui ne doivent lui faire oublier ni sa très longue phase multi-millénaire d’inefficacité, ni ses limites, ni les interrogations d’ordre éthique qu’elle suscite.
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !