Apprentissage et exercice de la médecine : plaidoyer contre la compartimentation du cerveau

La formation médicale a une histoire, une géographie, une anthropologie, et reste indissociable de l’évolution de la pensée des autres champs du savoir. Longtemps connectée aux humanités dont la maîtrise constituait un préalable à l’accès aux études médicales, la médecine fut infiltrée à partir du 19ième siècle par les sciences exactes, désormais socle de sélection des futurs médecins et paramédicaux. Parallèlement, l’évolution des connaissances a généré des spécialisations, aboutissant à une segmentation qui entrave l’aptitude à considérer le malade comme un tout, c’est-à-dire un ensemble d’éléments interdépendants dont la totalité n’est pas réductible à la somme.

La formation médicale allie la théorie à la pratique, la première arrimant sciences fondamentales et sciences cliniques, la seconde alliant travaux pratiques et stages hospitaliers. Elle est dispensée à l’université et à l’instar des autres études supérieures, elle se greffe sur les acquis et les fondamentaux du primaire et du secondaire. Ces acquis et ces fondamentaux sont si indispensables qu’il importe d’être revisités constamment par l’apprenant. Servant de sève nourricière aux humanités, ils constituent le socle sur lequel viennent se greffer harmonieusement les études supérieures. Les lacunes y afférentes sont souvent dommageables, et peuvent se perpétuer et se répercuter tout au long de la carrière du médecin qu’ils ponctuent négativement.

Il importe de refuser la compartimentation du cerveau, en brisant les frontières artificielles séparant les sciences humaines des sciences exactes, celles entre médecine et autres champs du savoir, et celles existant entre sciences fondamentales et sciences cliniques. L’enseignement doit reposer sur cette notion d’inséparabilité et faire constamment apparaître l’interconnexion des différents champs du savoir. En outre, il importe d’accorder l’importance qu’il mérite au sens des mots et des concepts.

La méningite cérébro-spinale a pour champ de prédilection la ceinture méningitique, bande latitudinale située entre le 10è et le 15è degrés nord, de l’Éthiopie au Sénégal. Le paludisme et les maladies tropicales négligées affectent surtout les populations de la ceinture de pauvreté du globe, la maladie de Behçet sévit surtout le long de la Route de la Soie, entre l’Asie de l’Est et les pays du bassin méditerranéen. Ainsi, la bonne compréhension de la répartition des maladies implique la maîtrise de notions basiques de la géographie, enseignées aux cours primaire et secondaire. Il en est de même de la bonne connaissance des ingrédients de l’environnement, indispensable à la maîtrise du concept une seule santé et à celle des zoonoses, déjà bien exposé dans le corpus hippocratique, où le père de la médecine exposait les liens entre d’une part l’air respiré, l’aliment consommé et le cadre de vie, et d’autre part les maladies contractées.

Les humanités au rang desquelles figurent l’histoire, la sociologie, la philosophie, l’anthropologie et les autres sciences humaines sont indispensables à une approche holistique du malade. Elles sont nécessaires à l’analyse du perçu et du vécu de la maladie par le malade. La présence de sang dans les urines, signe caractéristique de la bilharziose urinaire, a longtemps eu le vent en poupe, assimilée qu’elle était à un signe de virilité dans certaines populations du globe. Le recours aux purgatifs, aux vomitifs et à la saignée, en lien avec la théorie des humeurs (selon laquelle la maladie est imputable à la présence de secrétions ou de liquides anormaux dont il faut débarrasser le corps) a été utilisé comme moyen thérapeutique dans les quatre coins du monde. Le continent africain n’en détient donc pas le monopole. Il en est de même du recours aux plantes comme moyen thérapeutique. La contextualisation permet d’avoir du recul et d’analyser les données avec sérénité et sans passion.

Dans les traités antiques et médiévaux de la médecine, il n’est pas décrit de douleur à type de décharge électrique, l’électricité ne pouvant servir de base à une quelconque comparaison, puisque n’ayant fait son apparition qu’à la fin du 19ième siècle. La maîtrise de la langue est indispensable au recueil et à l’interprétation des données lors de l’interrogatoire.  Un malade qui souffre de la cheville qu’il rattache à une probable torsion de celle-ci n’est pas victime d’une entorse : l’épithète probable utilisé par le malade permet à coup sûr d’exclure une torsion avérée de la cheville dont se souviendrait le malade avec précision. Le recours à l’épithète « probable » reflète avant tout l’interprétation que tente de faire le malade de l’origine de son mal. Un prélèvement est un prélèvement, c’est-à-dire un fragment extrait d’un ensemble, dont le résultat de l’analyse n’est pas forcément superposable à celui de l’organisme. La négativité de l’analyse effectuée sur le prélèvement ne traduit pas toujours l’absence de maladie.

La prise en compte du profil psychologique du patient nécessite un minimum de culture générale, notamment en matière de psychologie. Il en est de même de sa vision et de sa perception du monde, de sa culture, de ses pôles d’intérêt, de ses sources de frustration, sachant qu’il est plus aisé de soigner un optimiste que de prendre en charge un pessimiste.

S’il est vrai que la mémorisation a une importante place dans l’apprentissage, il est tout aussi indispensable qu’elle soit précédée de la nette compréhension des concepts et des cours. Il importe donc de rattacher chaque concept pathologique à son vis-à-vis physiologique, de connecter constamment le normal au pathologique, d’arrimer le cas observé en stage aux chapitres correspondants des ouvrages qui sont à revisiter, avec comme finalité d’assurer la fluidité de l’apprentissage et de la formation continue, de faciliter la compréhension et donc la rétention, pour un exercice lucide de la médecine tenant compte de la particularité de chaque cas.

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