L’exploitation abusive du droit d’aînesse

A travers l’histoire, la brièveté de l’espérance de vie, la complexité de l’existence et les leçons tirées du vécu ont conféré un privilège mérité aux personnes âgées dans toutes les sociétés humaines. Ce privilège a même conduit à une forme de déification qu’expliquent logiquement l’exceptionnel destin de ceux vivant longtemps et la sagesse issue des expériences accumulées. Ceci justifia la mise en place formelle ou non formelle du collège des anciens dans la plupart des sociétés, notamment dans celles à tradition orale dominante. Le rôle des anciens en Afrique noire est remarquablement contenu dans cette pensée d’Amadou Hampaté Ba : « En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. »

Il importe cependant de remarquer que la corrélation entre âge et sagesse n’est pas systématique. Il en est de même de celle entre âge et expérience. En outre, l’expérience peut être trompeuse, car reposant sur un vécu dont la reproduction et la réplication sont rares, voire exceptionnelles.

Ne tabler que sur l’âge peut entraver l’éclosion de talents. Toutes les sociétés humaines sont nanties de gens d’exception, souvent précoces, pouvant servir de locomotive, à la seule condition de créer un cadre leur permettant de prospérer. Blaise Pascal a inventé la machine à calculer à 13 ans, Victor Hugo a composé ses premiers vers à six ans, Lavoisier a accédé à l’académie des sciences à 25 ans, et Napoléon Bonaparte a lu le Prince de Machiavel à 14 ans.

Bien évidemment, l’Afrique regorge de talents analogues dont la répartition géographique est certainement homogène à travers la planète. Un effort est à faire pour en favoriser l’éclosion, l’ancrage et l’essaimage. Il convient pour cela de se départir du réflexe d’infantilisation qui conduit à pénaliser la précocité, à travers une infirmité à voir les jeunes grandir, et à prendre en compte la mutation du fils devenu adulte qui de ce fait n’aura pas besoin de tuer le père. La part trop belle accordée au seul critère d’âge a des conséquences dommageables : à l’université, l’infantilisation de l’assistant par le professeur, parfaite reproduction des rapports père-fils, est source d’un étouffement incompatible avec la créativité, l’esprit d’innovation et la remise en cause attendus de cette institution. Un fait marquant de cette infantilisation est le substantif « enfant » trop souvent utilisé par des enseignants d’université parlant de leurs étudiants dont la quasi-totalité sont adultes, car âgées d’au moins 18 ans.

La déification de l’âge et l’exploitation abusive du droit d’aînesse qui en découle sont une sève nourricière du conflit de générations observé dans de nombreux secteurs. Elles sont sources d’étouffement et du nivellement par le bas et le déjà connu, donc possiblement un frein au progrès. Il convient d’en avoir conscience, car s’il est vrai que « c’est au bout de la vieille corde qu’on tisse la nouvelle », il est tout aussi vrai que l’exacte réplication et la parfaite reproduction sont contraires au progrès.

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