Tout est apprentissage

Le passage de la tétrapodie à la bipédie, caractéristique des primates et consécutif à la verticalisation de notre lointain ancêtre, s’est notamment traduit par l’augmentation de la masse du cerveau et l’extension de l’écorce cérébrale. Régulateur des fonctions vitales, le cerveau est également responsable de mouvements, de la prise de décision, de la conscience, des émotions, de la mémoire, et de notre capacité d’adaptation et d’anticipation. Ses différentes fonctions nous hissent au sommet de la pyramide des créatures à travers l’intelligence dont nous sommes nantis et dont une dizaine de formes ont été décrites. C’est du cerveau que dépend la faculté d’apprentissage, permettant l’intégration et l’appropriation d’aptitudes nouvelles, par le biais desquelles non content de voir et de subir, l’homme étend son champ de domination sur la nature. L’impact du cerveau sur notre existence est tel que son exploitation judicieuse et efficiente relève d’un devoir sacré dont l’antinomie serait assimilable à un péché capital. Cette exploitation est indissociable du compter sur soi, de la prise de conscience par chacun de son unicité et de la ferme conviction qu’il est nanti d’aptitudes pouvant lui permettre de se réaliser en se rendant utile aux autres. Le rôle de l’apprentissage et de l’ardeur est attesté par la force de travail dont font preuve les surdoués et les génies, au point d’amener certains penseurs à remettre en cause l’effet du seul don. En même temps, le parcours des femmes et des hommes d’exception, véritables locomotives de l’humanité, permet d’élargir le champ du possible et de pallier des insuffisances, naturelles ou circonstancielles.

La fusion des gamètes donnant naissance à l’œuf constitue le point de départ de la vie intra-utérine à laquelle l’accouchement au bout de neuf mois mettra un terme. La vie connaîtra ensuite six étapes, affectées chacune d’une série d’acquisitions issues d’apprentissage : la période néonatale (faite des quatre premières semaines de la vie), la première enfance (de 28 jours à 2 ans), la deuxième et la troisième enfances (de 2 à 12 ans), la puberté (12 à 16 ans), l’âge adulte, et la sénescence. Chaque étape de la vie comporte des apprentissages spécifiques, acquis au terme parfois d’une longue série de tentatives (deux milliers de tentatives sont ainsi effectuées par l’enfant pour passer de la station assise à la station debout) et dont le cumul contribue à la construction et à la maturation de la personne. Amadou Hampaté Ba a raison de dire qu’en Afrique, où la tradition orale est encore vivace, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brule.

L’importance de l’apprentissage a conduit à la mise sur pied de stratégies et d’entités à ses services. Il en est ainsi des écoles normales, des écoles d’instituteurs, et des concours d’aptitude au métier d’enseignants. Ces institutions ont pour but d’apprendre à apprendre. Car une chose est de maîtriser une matière, une autre est de la transmettre avec aisance et intelligibilité. Nombreuses stratégies, plus souvent complémentaires que contradictoires, ont animé les débats : celle reposant sur la découverte a été préconisée par Rousseau. A celle faite d’une société sans école imaginée par Ivan Illich, a été opposée celle prônant une société où tout est école par Albert Jacquard. L’importance de l’apprentissage est arrimée à celle du métier, indissociable du service susceptible d’être rendu et au taux d’utilité sociale.

Avoir un modèle servant de repère, de mentor, de référence, d’objectif ou de boussole, est souvent utile. Le rôle y afférent incombe souvent au maître dont il est exigé un comportement exemplaire suscitant l’admiration de l’apprenant. Le modèle peut être un contemporain (souvent plus âgé que celui dont il est la cible) ou historique (parcours et biographies d’hommes et de femmes d’exception). Ces modèles, tous domaines confondus, à considérer comme des locomotives, peuvent changer au fil du temps. Victor Hugo eut Chateaubriand pour modèle (« Je veux être Chateaubriand ou rien, écrivait-il à 14 ans). Elikia M’Bokolo eut Ibrahima Baba Kaké pour mentor (« Ibrahima Baba Kaké m’a intéressé à la radio et m’a appris à parler non pas comme un prof, mais comme quelqu’un qui parlait à d’autres personnes en considérant qu’elles aussi savaient quelque chose »). Jacques Attali avait pour modèle Raymond Aron (« Je serai le Raymond Aron de la gauche », confiait-il à l’un de ses camarades). Amadou Hampaté Ba eut pour mentor son oncle Tierno Boka, le sage de Bandiagara, dont l’enseignement empreint d’amour, de spiritualité et de charité, amena son neveu à le comparer à Saint-François d’Assise. Des rencontres de jeunes (élèves et étudiants) avec des cadres aux parcours élogieux et exemplaires sont utiles. De telles rencontres auront le mérite d’élargir le champ du possible dans l’esprit de ces jeunes qui verront en leurs interlocuteurs des exemples vivant de parcours d’exception, issus du même milieu que le leur, et souvent d’entrailles de personnes démunies.

Le modèle historique résulte souvent de la lecture et de la culture générale qu’elle sous-tend. Ainsi, la légende portant sur l’acquisition tardive de la marche, l’enfance et le parcours de Soundiata Kéita, fournit un modèle de ténacité et de combativité. Le parcours de Mandela est un chef-d’œuvre de résistance, de tolérance et d’humanisme, dans un monde en quête de repères où les hommes, pressés de vivre car souvent victimes d’une sécheresse spirituelle, paraissent éluder le mystère. Blaise Pascal (invention de la machine à calculer à 13 ans) est un modèle de précocité tandis que Pasteur et Claude Bernard constituent des modèles de ténacité.  Un rapprochement peut être fait entre des modèles contemporains et des modèles historiques : Messi et Pelé sont au football ce que Newton et Einstein ont été pour la physique, Lavoisier pour la chimie, Shakespeare et Wole Soyinka pour la littérature.

Fait important, la soif d’apprendre, socle de la ténacité et d’ardeur au travail, est l’élément moteur de tout apprentissage, même chez les surdoués (« Le génie est fait d’un pour cent d’inspiration et de 99% de transpiration », Thomas Edison). D’elle résulte la répétition qui affine la dextérité et renforce la mémoire. La répétition, à travers la rééducation, permet la récupération de la mobilité d’un membre au décours d’un accident vasculaire cérébral. C’est également par la répétition que les acteurs, les sportifs et les hommes publics améliorent leurs performances, la meilleure improvisation étant celle préalablement préparée. « Lorsqu’un sportif ose un coup de maître, c’est parce qu’il a appris une quantité de gestes simples. Il faut répéter et répéter encore, pour s’autoriser à sortir de la répétition. » (Charles Pépin). Charles de Gaulle répétait ses discours jusqu’à les mémoriser. Léon Zitrone, grand journaliste s’intéressant notamment aux mariages princiers, préparait des dizaines de notes en amont des commentaires qu’il leur consacrait. De même, les coups de pied arrêtés, notamment les pénaltys et les coups francs, font l’objet de nombreuses répétitions à l’entraînement, même chez les plus grands (Messi, Ronaldo). Le défilé du 14 juillet en France, celui du 27 avril au Togo, et ceux des fêtes d’indépendance de différents pays, sont l’objet de séances de répétition et d’entraînement visant à leur conférer la cadence, le rythme et l’exactitude attendus. La répétition permet de venir à bout de certaines insuffisances, mêmes congénitales. Démosthène, soucieux de mener une carrière politique que risquait d’entraver son trouble d’élocution, entreprit des séances de rééducation en mettant des cailloux dans la bouche, ce qui fit de lui l’un des plus grands orateurs de l’Antiquité ! Parmi les tous premiers écoliers togolais de l’époque coloniale, figurent ceux ayant appris à écrire à même le sol avec le doigt, par manque d’infrastructures et d’équipements. Mais cet exercice leur a permis d’acquérir une belle écriture, avec le respect scrupuleux du plein et du délié. L’expérience nait du perfectionnement issu de la répétition, chaque pas étant alimenté par les leçons tirées des erreurs du pas précédent. Avoir de l’expérience signifie tout simplement tirer les leçons de ses multiples erreurs passées. L’expérience, quoiqu’édifiante, reste trompeuse, car basée sur le passé et les leçons qui en découlent. Tout bénéficiaire d’un acte ou d’une prestation, tout en jouissant de l’expérience du prestataire, sert en même temps de cobaye, car susceptible d’enrichir celle-ci au profit de ceux qu’il précède, nourrissant de fait la solidarité entre humains.

Le rôle du travail et de la répétition dans l’acquisition de compétences et d’aptitudes a été magnifié et hissé au plus haut degré par certains auteurs qui vont jusqu’à remettre en cause le concept de génie. En faveur de ce point de vue est l’ardeur au travail dont font preuve des gens d’exception, au rang desquels figurent des petits dormeurs. Einstein, Victor Hugo, Jacques Attali, Michel Onfray, Claude Bernard, constituent des exemples de véritables bourreaux de travail qui ont hissé leur activité au rang de religion. Beaucoup de ces personnes d’exception sont nanties de dispositions particulières, caractéristiques du génie, permettant de penser que l’intense travail alimente le génie et inversement, le tout donnant naissance à des performances inégalées. Accorder le plus grand prix aux facultés intrinsèques dont on est nanti a le grand mérite de les exploiter à fond, et de cultiver le compter sur soi, le croire en soi et la confiance en soi, tout en se débarrassant de toute posture fataliste, afin de prendre son destin en main.

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