La maladie arrive au galop et repart au pas

La maladie est redoutée par son aptitude à éroder la qualité de vie ou à en abréger la durée. Dans tous les cas, la maladie est source d’altération de la lucidité de sa victime. La morbidité et la mortalité afférentes à une maladie en déterminent le pronostic. L’importance du pronostic a conduit les auteurs antiques, notamment Hippocrate, à lui accorder une importance analogue à celle du diagnostic. La gravité d’une maladie potentiellement mortelle a souvent conduit à se garder de la nommer, le déni et la synonymie servant de refuge, d’apaisement ou de consolation, le tout en lien avec le refus de savoir ce qu’on sait déjà. La phtisie a servi à nommer la tuberculose avant la découverte des antituberculeux, le mot « tumeur » est préféré à celui de « cancer », et les expressions « mal du siècle » et « maladie-fléau » à celle de SIDA. La découverte du traitement efficace conduit à désigner sans détour la maladie par son nom, et même à la banaliser. Se débarrasser au plus vite du mal et recouvrer sa santé sont la préoccupation première du patient, c’est-à-dire du souffrant, faisant abstraction du facteur temps. C’est donc avec une impatience dépouillée de raison que l’on veut voir refoulée la hantise de l’inévitable fin qu’entretient la présence de la maladie, oubliant que celle-ci arrive au galop pour repartir au pas.

L’abord temporel des maladies a conduit à les classer en aiguës (maladies à début brutal et à durée brève) et en chroniques (affections de longue durée, à début souvent progressif). L’épithète « aigu » n’est pas forcément en lien avec une quelconque gravité, de nombreuses affections aiguës, comme la grippe et le rhume, étant souvent bénignes.  La brutalité de survenue est déroutante et fait souvent craindre le pire en laissant entrevoir sa fin prochaine au malade. Certaines maladies aiguës comme l’infarctus du myocarde, la méningite et le choléra sont graves, car potentiellement mortelles. L’infarctus du myocarde a causé la mort du Président égyptien Nasser et du footballeur camerounais Abéga, respectivement à 52 et 58 ans. La grippe espagnole fit entre 30 et 50 millions de morts, l’épidémie d’Ébola 2013-2016 plus de 11000 en Afrique de l’Ouest, avec 99% de victimes en Guinée, Sierra Leone et Libéria, en dépit de la propension naturelle à la guérison des maladies virales. Les antibiotiques et les antiparasitaires viennent respectivement à bout des bactéries et des parasites responsables autrefois d’affections aiguës graves : Alexandre Le Grand, à la tête du plus grand empire de l’Antiquité, fut terrassé à 33 ans par un paludisme sévère, faute de moyens préventifs et de traitement. Le passage à la chronicité de certaines affections aiguës a été rendu possible par les progrès de la médecine : il en est ainsi du SIDA. En outre, l’évolution des maladies chroniques est truffée de phases aiguës, rendant moins nette la séparation entre affections aiguës et affections chroniques.

Le refus de souffrir explique l’impatience qui abrite l’esprit du patient, désireux d’en finir avec la souffrance, même celle brève relevant d’une maladie aiguë bénigne. Certaines circonstances peuvent aiguiser le souci d’abréger les délais naturels de cicatrisation ou de guérison. Il en est ainsi des sportifs de haut niveau, victimes d’un accident à la veille d’une échéance décisive dont l’issue est censée dépendre de leur performance. Tel fut le cas du footballeur Di Maria, victime d’une lésion des ischio-jambiers, et dont les Argentins, faisant fi du délai incompressible de cicatrisation, espéraient le prompt rétablissement avant la finale perdue de la coupe du monde de 2014.

L’éventail des maladies chroniques s’élargit sans cesse, en raison de l’allongement de l’espérance de vie induit par les progrès de la médecine. Leur catalogue, nettement dominant dans les pays développés, devient de plus en plus important en Afrique sub-saharienne, en raison de la transition épidémiologique, satellite de celle démographique. Au rang des maladies et morbidités chroniques figurent l’obésité, l’hypertension artérielle et autres maladies cardiovasculaires, le diabète, le cancer, la drépanocytose, les maladies dégénératives, l’asthme, et la maladie pulmonaire obstructive chronique. Le caractère chronique d’une maladie est source de questionnement aussi bien chez le malade que dans son entourage. Une guérison absolue ne peut être attendue du traitement de certaines affections, que la médecine apprivoise et contrôle en en évitant les conséquences et en permettant au malade de bien vivre avec. Il en est ainsi de la drépanocytose, du diabète, de l’hypertension artérielle, de l’épilepsie et du glaucome qui nécessitent un traitement au long cours, voire à vie.

La chronicité est souvent mal vécue, rarement acceptée, et toujours subie. L’annonce du diagnostic d’une maladie chronique marque souvent une césure, l’avant se distinguant de l’après, surtout en cas de maladie grave. Il s’agit d’une annonce à faire avec doigté, tenant compte de la personnalité et du profil psychologique du patient. Le caractère déroutant de se savoir atteint d’une maladie chronique et les perturbations centrées par la peur de la mort qu’elle induit, sont à considérer constamment, l’affect surplombant souvent la raison.

Le déni est l’une des attitudes les plus fréquentes, observé même chez les plus grands, qu’il ramène à leur stricte dimension humaine. Eduard Einstein, fils d’Albert, schizophrène dès l’âge de 20 ans, passa une bonne partie de sa vie dans un hôpital psychiatrique, délaissé de tous, et particulièrement de son père, qui s’était exilé aux Etats-Unis. Golda Meir, reine non couronnée d’Israël, imposa durant toute sa vie un épais secret à propos du mongolisme dont souffrait sa petite fille. Le secret ne fut levé qu’après son décès, alors que celle-ci était âgée de 22 ans. Le diagnostic d’une maladie potentiellement grave, même posé par le plus réputé des spécialistes, incite à la consultation d’autres médecins chevronnés, le malade nourrissant l’espoir d’une erreur commise par le premier. Il en est ainsi de la polyarthrite rhumatoïde, rhumatisme susceptible de provoquer d’importantes déformations des doigts, dont le diagnostic une fois évoqué incite à la consultation d’au moins deux autres spécialistes dans les deux premières années. L’on doit faire preuve de compréhension vis-à-vis d’une telle démarche que le médecin ne doit pas assimiler à de la déloyauté. Le déni peut persister après la mort, comme illustré par la famille Kennedy qui s’opposa à l’autopsie visant à permettre le diagnostic étiologique de l’insuffisance surrénalienne dont souffrait celui-ci.

L’observance thérapeutique est l’une des exigences permettant aux patients atteints de maladies chroniques de mener une vie quasi-normale. Son effectivité peut être entravée par l’absence de douleur comme c’est souvent le cas pour le cancer, le diabète et l’hypertension artérielle à leur début, corroborant la notion d’utilité de la douleur chère à Descartes. La lassitude est aussi un autre facteur de l’inobservance thérapeutique, de même que l’inaccessibilité géographique ou financière, notamment en Afrique sub-saharienne, où la mise en place progressive de la couverture maladie universelle visant à y remédier est à saluer. Mais la non observance thérapeutique peut être le fait d’une personne nantie et informée, comme François Duvalier, mort de complications cardiaques et cérébrales d’un diabète mal soigné.

A l’inobservance thérapeutique peut être rapproché le recours à de curieuses thérapeutiques, dicté par l’envahissement de l’esprit par l’irrationnel, inhérent à la lassitude, à la chronicité, à la souffrance, à l’impression de gravité ou à une forme de démission : tel fut le cas d’Anne d’Autriche, mère de Louis XIV, morte à 64 ans d’un cancer du sein, objet de thérapies diverses et variées, administrées aussi bien par des professionnels classiques que par les tenants de médecines parallèles.

Ainsi, l’impact psychologique de la maladie, tant dans sa forme aiguë que dans sa forme chronique, est pluriel, variable d’une personne à l’autre, et mouvant chez la même personne, d’un moment à l’autre. Il reste indissociable de la plus constante et de la plus inoxydable de nos peurs, celle en lien avec notre inévitable et mystérieuse fin, la mort, dont la maladie est perçue comme l’antichambre. En même temps, la maladie influence les rapports soignant-soigné, l’un et l’autre étant à la fois consultant et consulté, tous rendus philosophes parce que ramenés à leur stricte et vulnérable dimension humaine.

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