« Les philosophes sont plus anatomistes que médecins : ils dissèquent mais ne guérissent pas » Antoine de Rivarol

Jusqu’au XVIIème siècle, la philosophie était considérée comme la mère de toutes les sciences. Était philosophe celui qui possédait la totalité du savoir dans la mesure du possible. Le Pic de la Mirandole, vaste esprit encyclopédique de la Renaissance, en était la parfaite incarnation. Philosophie rimait avec sagesse. Les études médicales avaient comme préalable la maîtrise des humanités, précocement dispensées. Le tronc que constituait la philosophie a commencé par se démembrer avec René Descartes (théorie de l’arborescence) en trois branches (médecine, mécanique et morale). « Toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale, j’entends la plus parfaite morale, qui, présupposant une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse. » (René Descartes).

La pensée de Rivarol n’est pas sans rappeler celle de Marx pour qui les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde, ce qui importe c’est de le transformer. Dans cette pensée, Rivarol semble opposer la médecine à la philosophie, la seconde ayant la réflexion comme champ d’intervention, et la première l’action comme domaine de prédilection. Cette pensée, bien qu’émanant d’un brillant esprit de la fin du siècle des Lumières, paraît simpliste et trop caricaturale. La démarche médicale, régie par la relation médecin-malade, résulte de la conjonction d’un savoir, d’un savoir-faire et d’un savoir être mis en branle dans l’interrogatoire, l’abord du patient, l’accueil à lui réservé (exigeant du médecin un effort sur soi), son examen clinique, la demande et l’interprétation des examens complémentaires, les prescriptions et les explications y relatives, et le suivi du traitement. Tout ceci nécessite une dissection prenant en compte sa profession, sa personnalité, ses convictions, sa vision et sa perception du monde, ses attentes, son environnement et son cadre de vie, bref un abord pluriel garant d’une prise en charge holistique, ne réduisant pas la médecine à un arrimage mécanique maladie-traitement. Un tel abord impose au médecin d’être à la fois scientifique et artiste (l’on parle d’ailleurs de l’art médical), rigoureux et humaniste, attachant mais gardant la distance, ouvert sans familiarité débordante, bref auteur d’une démarche empreinte de bout en bout de philosophie. Ainsi, la philosophie nourrit la conduite du médecin dont elle éclaire et se mêle étroitement à l’action. Les deux domaines forment un duo, et non un duel, comme semble le penser Rivarol. Tout comme la philosophie, la médecine, nourrie du doute induit par l’extrême variabilité du vivant, impose la remise en cause permanente, rien ne devant être considéré comme définitivement acquis, rien ne devant être considéré comme immuable, rien ne devant être considéré comme allant de soi. Comme dans tous les autres domaines d’activités, la réflexion et le bouillonnement des idées doivent être hissés au rang des priorités, car sources de progrès de l’action. Peut-on transformer le monde sans en avoir au préalable analyser, disséquer et interpréter les composantes, comme semble le penser Marx ?

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