« Le microbe n’est rien, le terrain est tout » Louis Pasteur

La pensée médicale a connu l’une de ses périodes phares entre 1859 et 1865. Ces six années, appelées les six glorieuses par Jean Bernard, ont été marquées par des découvertes qui vont servir de socle à l’approche rationnelle des maladies : la découverte des microbes par le chimiste et physicien Louis Pasteur (père de la microbiologie), la découverte du milieu intérieur et de l’homéostasie par le médecin Claude Bernard (père de la physiologie), la découverte des lois de l’hérédité par le moine Gregor Mendel (père de la génétique), et la formulation de la théorie de l’évolution par le naturaliste Charles Darwin.

Des causes objectives furent ainsi trouvées à certaines maladies, notamment celles infectieuses, à travers l’identification de leurs agents causaux au fil du temps. Un arrimage fut ainsi établi, assurant l’appariement microbe-maladie. Mais très vite, l’observation permit de se rendre compte des limites de cet arrimage : si le port d’un microbe est une condition nécessaire à la survenue de la maladie correspondante, il n’en est pas une condition suffisante, le terrain jouant un rôle déterminant. Le terrain est fait de deux composantes : l’individu et l’environnement dans lequel il vit. Les deux composantes interviennent tant dans la genèse de la maladie que dans sa gravité. Elles sont à l’origine de l’inégalité des hommes et des peuples devant la maladie. On peut ainsi porter le germe sans développer la maladie (concept de porteur sain), déclenchée seulement lorsque sont réunies les conditions nécessaires à la prolifération du germe. Ainsi, on ne saurait souffrir de tuberculose sans bacille de Koch dans son corps. Mais le port de ce germe n’aboutit à la survenue de la tuberculose que lorsque sont réunies les conditions de sa prolifération, en prélude à l’installation de lésions. Ces conditions sont celles concourant à la diminution des moyens de défenses naturelles, d’origine endogène ou exogène (dénutrition, insalubrité, promiscuité, respiration de l’air pollué, maladie, traitement immunosuppresseur, etc.). Voilà pourquoi bien qu’en contact avec les tuberculeux, les médecins ne souffrent que rarement de tuberculose dont ils sont pourtant porteurs du germe, exposés qu’ils sont à la contamination. Un autre exemple est fourni par la méningite cérébro-spinale, fortement climato-sensible, et favorisée par la saison sèche, la faible humidité et les vents d’harmattan. Elle sévit en Afrique dans la ceinture de Lapeyssonnie, bande latitudinale située au sud du Sahara, s’étendant d’est en ouest,de l’Éthiopie au Sénégal, et comprenant les territoires de 26 pays. La pauvreté, l’insalubrité et les crises alimentaires qui fragilisent les plus vulnérables sont les principaux facteurs favorisant du choléra. La conjonction de ces facteurs a été à la base des épidémies vécues par l’Europe au XIXème siècle, et les flambées que connaissent par moments l’Afrique, l’Asie et l’Amérique. Le germe responsable est contracté par la consommation d’eau ou d’aliments contaminés par les matières fécales d’une personne infectée. Le paludisme, l’une des plus vieilles maladies de l’humanité, aurait affecté l’homme préhistorique. Ses liens avec la proximité de terrains marécageux ont été établis au IIème siècle par les Grecs. D’où l’étymologie de ses dénominations : paludisme vient en effet du vieux français palud, lui-même dérivé du latin palus et signifiant marécage ; malaria, la dénomination italienne adoptée aussi par les anglo-saxons, fait référence aux miasmes dont on pensait qu’ils occasionnent les fièvres. Alexandre Le Grand qui a régné sur le plus vaste empire de l’Antiquité, en mourut à 33 ans. Aujourd’hui, les mesures d’hygiène, la moustiquaire, le cadre de vie et le traitement rendent cette éventualité quasi-impossible chez une personne de ce rang. Les épidémies de peste et de lèpre subies par l’Europe dans l’Antiquité et au Moyen-Âge sont antérieures à l’ancrage des mesures d’hygiène et d’assainissement tel que conçues et vécues aujourd’hui. La lèpre a ainsi affecté de grandes figures de la noblesse : Robert Bruce en Écosse en mourut en 1329. Baudouin IV, roi de Jérusalem de 1174 à 1185, a été diagnostiqué dès l’âge de 10 ans, à cause de son insensibilité à la douleur. Dépourvu d’autres symptômes, il est tout de même nommé roi. La maladie commence par se manifester un an plus tard. En 1183, il perd l’usage des mains, des pieds et des yeux et se déplace sur litière. Il meurt en 1185 auréolé par son succès contre Saladdin en 1177. Alphonse II du Portugal décéda également de la lèpre à 38 ans. L’inégalité face à la Covid-19 à travers la planète, tant dans sa répartition que dans sa sévérité, n’est pas étrangère à la diversité des milieux et des populations.

Le pronostic des maladies est aussi considérablement influencé par le terrain. La rougeole, bénigne chez l’enfant bien nourri, peut être fatale chez l’enfant sous-alimenté. La tuberculose est d’autant plus grave qu’elle survient chez une personne aux conditions et au cadre de vie déplorables. De nombreuses maladies, source d’une forte mortalité des moins de 5 ans en Afrique sub-saharienne, trouvent leur origine dans la consommation d’eau sale et dans l’insuffisance alimentaire. La peste, responsable au Moyen-Âge d’une forte mortalité en Europe, n’a pas été fatale pour toutes les personnes qui en furent atteintes, le germe restant le même mais le terrain éminemment variable.

Il découle de ce qui précède que toutes les maladies, même celles infectieuses, sont multifactorielles, tant dans leur genèse que dans leur expression et dans leur issue. La variabilité, caractéristique fondamentale du vivant, trouve sa pleine expression en pathologie. En pratique, la lutte contre les maladies est ainsi multifactorielle, faite de nombreuses facettes adossées aux facteurs de risque y concourant. Le microbe, entité biologique, tout en ayant une constitution stable, connaît une virulence influencée par le terrain dont chacune des composantes est dotée d’un effet à géométrie variable. Il découle également de ce qui précède que l’hygiène du milieu, l’hygiène corporelle, l’hygiène alimentaire, et la bonne alimentation, sont les sèves nourricières d’une bonne santé. Toutes les politiques concourant à galvaniser les secteurs y afférents (cadre de vie, environnement, agriculture, approvisionnement en eau potable, éducation, électrification, pistes rurales, etc.) sont à encourager et à amplifier, chaque secteur étant à la fois racine et fruit de celui de la santé. En somme, l’agent de santé ne saurait être indifférent à aucun des aspects de la société ; il doit se sentir concerné et interpelé, afin d’avoir un abord pluriel des questions sanitaires qu’il convient de cerner dans leur globalité.

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