Santé : deux excès à éviter : exclure la médecine, n’admettre que la médecine

Les progrès réalisés par la médecine, matérialisés par ses prouesses dans différents domaines (chirurgie, anesthésie, infectiologie, imagerie, biologie, contraception, etc.), ont contribué au recul des frontières de la mort, à l’élargissement de l’espace de la santé et à l’allongement de l’espérance de vie. Ces considérations ont galvanisé la place des soignants dans la société, auréolés des succès attribués à leur domaine d’intervention. Les connaissances qui en sont le socle se sont affinées au fil du temps, tournant le dos à la terrible et longue enfance de plusieurs millénaires d’impuissance, au cours de laquelle l’approche métaphysique de l’origine de la maladie, dominatrice de la pensée médicale, avait le vent en poupe. L’affinement et l’explosion des connaissances ont conduit à l’allongement des études, à la naissances des spécialités puis des sous-spécialités, érodant parfois l’approche holistique indispensable à une prise en charge appropriée du patient. En même temps, la médecine s’est arrogée d’aller outre l’objectif à elle assigné depuis la nuit des temps, s’apposer à la nature, pour satisfaire à des demandes la conduisant à s’y opposer. Un basculement s’est ainsi opéré, suscitant des questions débordant largement le domaine qui a longtemps été le sien (restaurer la configuration et la fonction des organes), pour défier la nature, à travers des actes remettant en cause les normes jusque-là considérées comme immuables, laissant libre court à l’expression des choix individuels. Le phénomène du transgenre, consistant à modifier le sexe dont on est initialement doté, et la chirurgie esthétique, visant à changer la configuration initiale des organes de l’individu, en sont de parfaites illustrations. Le caractère restrictif consistant à n’admettre que la médecine et à faire la part trop belle au curatif lorsqu’on aborde les questions de santé, est hautement préjudiciable. Elle conduit à focaliser l’attention sur les hôpitaux dès qu’une question de santé est évoquée. C’est oublier le sacro-saint principe selon lequel la santé n’est pas que médecine, la médecine n’est pas que traitement, le traitement n’est pas que médicament, et le médicament n’est pas que substance chimique. L’allongement de l’espérance de vie a eu pour principal socle la vaccination et les mesures d’hygiène et d’assainissement mises en place bien avant l’utilisation à grande échelle des antibiotiques (à partir de 1938) et la découverte d’importants moyens diagnostiques (échographie en 1966, scanner en 1971 et imagerie par résonance magnétique en 1981). Cependant, s’il importe de ne pas retreindre la santé à la seule médecine, il est tout aussi impérieux d’éviter d’accorder un rôle marginal à celle-ci dans la restauration de celle-là.

Le SIDA qui a secoué la planète entière à partir des années 1980 a vu l’irruption sans précédent de la société civile dans le secteur de la santé. Il a servi d’essence et de sève nourricière à la raison d’être et au fonctionnement de nombreuses associations et organisations non gouvernementales. Ces entités, tant nationales qu’internationales, courroie de transmission entre soignants et soignés, ont aidé au dépistage, à l’information, à la déstigmatisation, au traitement et au suivi des patients. Elles ont en outre concouru à la mobilisation et à l’utilisation efficiente de ressources. La noblesse de leur démarche a cependant été écornée par des détournements aussi bien d’objectifs que de moyens, aux antipodes de la légitimité dont elles jouissent parfois trop spontanément, alimentée par leur virginité en matière de gestion des affaires de la santé. Ceci explique l’allergie de certains responsables de ces entités à toute approche fédérative, visant à les mettre dans un creuset pivotant autour du VIH/SIDA. Une autre dérive les conduit parfois à vouloir jouer le rôle qui n’est pas le leur, celui des gouvernants. La maladie a généré des emplois parfois juteux dont certains bénéficiaires vont jusqu’à redouter son éradication ou son élimination. La pandémie à la Covid-19, tout comme le SIDA dont elle a tiré parti de certaines leçons, est survenue dans un contexte dominé par de fulgurants moyens de communication et de transport, à l’origine d’un rapide brassage des populations et d’une excessive médiatisation. Maladie nouvelle aux facettes inconnues, elle a cependant, comme le SIDA en son temps, généré des experts soumis au diktat du paraître et incapables d’abréger leurs réponses par l’unique et juste phrase qui en valait la peine : « Je ne sais pas ». Des projections, des prédictions et des modélisations ont ainsi été démenties parce que reposant sur l’imagination fertile de leurs auteurs. Des hypothèses, des stratégies et des recommandations de tout genre ont émané de personnes de tous les profils, dont certaines vierges de toute formation en sciences médicales. On aboutit ainsi à l’autre extrême : exclure la médecine des questions de santé. D’illustres inconnus ont ainsi été sortis de l’ombre, pour faire irruption dans les médias, notamment sur les plateaux de télévision. Infini était ainsi le nombre de spécialistes auto-proclamés. La peur de la mort que pourrait engendrer la maladie n’a fait qu’accentuer l’émotion collective y relative et éroder la retenue et le doute devant servir de socle à l’hygiène du raisonnement et à la démarche scientifique. La finalité a parfois fait place aux moyens, et conduit à des antagonismes et à des concurrences entre entités sensées partager les mêmes objectifs.

Blaise Pascal (1623-1662), après l’éloge de la raison par Descartes (1596-1650) dont il était un contemporain, avait fait état des deux excès à éviter, aussi préjudiciable l’une que l’autre : exclure la raison, n’admettre que la raison. On pourrait, par analogie, déplorer les deux excès aussi dommageables l’un que l’autre en matière de santé : exclure la médecine, n’admettre que la médecine. Une telle démarche permet d’avoir constamment l’essentiel à l’esprit : la médecine a pour champ d’intervention une créature, l’être humain, qui n’a jamais été un être exact ; bien qu’empreinte d’une bonne dose de rationalité, la démarche médicale fait appel aux humanités, et la bonne médecine ne saurait résulter d’un seul appariement maladie-médicament ; la médecine reste cependant l’indispensable paragraphe de la grande encyclopédie que constitue la santé, et auquel le praticien doit adjoindre tous les ingrédients de la noblesse de l’art de soigner. Si la santé est une affaire trop sérieuse pour dépendre des seuls agents de santé, elle est trop complexe pour être exclusivement régie par ceux exempts de toute compétence médicale.

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