« L’art médical consiste à distraire le malade pendant que la nature le guérit » (Voltaire)
La seconde moitié du XXème siècle et le premier quart du XXIème ont été marqués par de fulgurants progrès de la médecine issus des prouesses techniques, scientifiques et numériques. L’infiltration de celles-ci dans le domaine médical s’est parallèlement associée à l’hypertrophie de la place des sciences exactes dans la sélection des futurs médecins, à une confiance excessive aux données issues des aides au diagnostic et au traitement, à une chosification du patient, et à une forme de déshumanisation du noble art. A ces considérations s’ajoutent la mode en vogue en ce troisième millénaire commençant, faite du diktat du cumul, de l’immédiateté, et du moindre effort. Voltaire et bien avant lui Hippocrate, Maimonide, Avicennes, et Paré, et bien après lui Pasteur, Bernard, Mondor, ont, par leurs écrits tirés de leur pratique médicale, magnifié les inoxydables armes de construction massive de la médecine qu’il faut avoir constamment à l’esprit, en dépit des fulgurantes avancées issues de la technique et du numérique. Les recommandations de ces grands esprits, nettement antérieures aux grandes avancées de la médecine, trouvent une résonnance particulière en ce XXIème siècle.
Les armes de construction massive du noble art médical résultent du non marchand et de l’humain. Elles s’imposent d’autant plus que le numérique sert de socle à l’accès de tous au savoir, hier presqu’exclusivement détenu par la faculté. Le rôle du médecin haut perché, dictant verticalement son ordonnance au patient, a subi une profonde mutation. Le contexte a imposé une quasi-horizontalisation des rapports soignant-soigné. Les consultations, forcément chronophages, doivent faire la part belle à l’écoute active, à la compassion, à la bienveillance, au bon accueil, bref à l’humain. Elles doivent revêtir l’allure d’une conversation au cours de laquelle le malade doit se sentir considéré, respecté, non jugé, et non infantilisé. Aucun progrès technique ne saurait justifier la non observation de ces principes. La conversation doit avant tout être axée sur le malade, son passé, son présent, sa vision du monde, sa culture, ses distractions, etc.
Distraire le malade permet de le détourner temporairement du mal qui l’assaille, voire de banaliser celui-ci. Ceci nécessite du médecin une ouverture d’esprit et un minimum de culture générale lui permettant l’abord de sujets divers et variés dont celui ou ceux accrocheurs pouvant retenir l’attention et l’intérêt du patient. Un instituteur sera sensible au rôle fondateur de son métier dans l’ancrage des fondamentaux et des humanités exigibles de n’importe quel expert. Un passionné de football sera attentif au rappel de l’épopée de l’équipe brésilienne de 1970, et des parcours des grandes figures de ce sport que sont Pelé, Maradona, Messi et Ronaldo. Un prêtre ne saurait être indifférent du rappel de l’essence et de la formalisation des sept péchés capitaux par Grégoire le Grand au VIème siècle, un pasteur des causes et des conséquences de la Réforme menée en 1517 par Luther puis Calvin. Les périodes des Omeyyades (661-750) et des Abbassides (750-1258), toute l’histoire du califat jusqu’à Moustapha Kemal, et l’expansion de l’Islam à partir du VIIIème siècle par des acteurs méprisant la soif, la faim et toutes les misères du désert mobiliseraient l’attention d’un interlocuteur musulman. Un amoureux des belles lettres serait conquis par les classiques français de la Pléiade, du Grand Siècle, du Siècle des Lumières et du siècle de la révolution industrielle, de même que par la littérature engagée des grands classiques africains autour et au lendemain des indépendances. L’histoire des grands empires africains du Moyen-Âge et les migrations qu’ils ont générées rendraient toute sa fierté à un malade qui s’en considère héritier. Le rappel de la Conférence de Berlin dont est issu le partage de l’Afrique mettrait en exergue la proximité d’avec le malade se sentant étranger de par sa nationalité. Le paysan ou le modeste artisan verrait d’un bon œil son métier hissé au rang des plus utiles et le langage à lui tenu sans condescendance et sans arrogance. La fluidité des rapports avec le patient peut être renforcée par la conscience qu’il a de la maîtrise par le médecin d’aspects fondamentaux de sa culture (langue, histoire, rites, etc.). L’élégance d’un patient peut être valorisée par une comparaison avec celle d’un personnage célèbre. Il en est de même du prénom que le patient pourrait avoir en partage avec des têtes couronnées ou d’illustres personnages. De même, une banalisation, une humanisation et un encouragement peuvent résulter du partage par le malade de la maladie (goutte) ayant affecté des personnages célèbres (Louis XIV, Diderot, Charles Quint, etc.) Le rappel des carrières des plus grands, faites de haut et de bas, comme celles de Lincoln, de Claude Bernard, de Mandela, ragaillardirait le moral du malade traversant une mauvaise passe.
Cette approche visant à distraire et à détendre le malade humanise le médecin, galvanise et décomplexe le patient, et sert de socle à une relation de confiance. Elle concourt à la participation active du patient au traitement de sa maladie dont il prend connaissance des différents aspects. Éclairé, valorisé, respecté et objet de compassion et de bienveillance, le malade est ainsi bien armé pour faire face à sa maladie. Le terrain devient alors fertile à la restauration du naturel, objectif ultime de tout traitement. La guérison, quelle que soit la qualité du traitement, obéit à des impératifs de la nature : il en est ainsi du délai de cicatrisation d’une plaie, du délai de consolidation d’une fracture, de la remise en forme après une grippe, du rôle galvanisant du système immunitaire par la bonne humeur, du retard à l’apparition des rides par celle-ci, de l’irremplaçable rôle réparateur du sommeil, etc.
Il n’est pas étonnant qu’une telle pensée émane du philosophe et non médecin que fut Voltaire. D’autres philosophes, bien avant lui, ont fait état d’aphorismes qui éclairent de façon lumineuse l’art médical. Certains de ces philosophes, en même temps médecins, ont eu un parcours répondant au profil antérieur à la théorie de l’arborescence décrite par Descartes. Il en a été ainsi de Descartes lui-même, d’Hippocrate, de Galien, de Maimonide, et d’Avicennes. Cette vision et cette approche de l’art médical sont à magnifier et à restaurer, particulièrement en ce troisième millénaire commençant, soumis au diktat de l’immédiateté, du cumul et du superficiel, où les hommes, pressés de vivre, paraissent éluder le mystère et le sens profond des choses.
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