« Exige beaucoup de toi-même et peu des autres. Ainsi, beaucoup d’ennuis te seront épargnés » Confucius

Le compter sur soi, indissociable du respect de soi et du sens de responsabilité, est la clé de voûte et la sève nourricière de tout développement individuel et collectif. Le respect de soi, parfaitement arrimé au respect d’autrui, est une vertu prônée depuis la nuit des temps, par toutes les cultures et toutes les civilisations. En même temps, le compter sur soi est étroitement lié à l’estime de soi et à la confiance en soi dont la dégradation concourt à son altération. De la conception issue de la fusion des gamètes à la mort, la vie est jalonnée de périodes glorieuses mais aussi d’épreuves à surmonter. Celles-ci, faisant de la vie un éternel combat,  font appel à l’aide et au secours d’autrui (notamment des parents) pendant les cinq étapes antérieures à la maturation, étapes de dépendance légitime : la vie intra-utérine, pendant laquelle l’embryon fait place au fœtus ; la période néonatale qui s’étend aux quatre premières semaines de la vie ; la première enfance correspondant au nourrisson ; les deuxième et troisième enfances correspondant aux âges préscolaire et scolaire ; la puberté (entre 12 et 16 ans pour les garçons et 12 et 14 ans pour les filles) ; et enfin l’adolescence, période d’achèvement du développement génital. A l’enfance succèdent l’âge adulte puis la sénescence (ou vieillissement), longue évolution régressive menant à la déchéance puis à la mort. Celle-ci marque l’inévitable fin qui a résisté à toutes les utopies et qui est d’ailleurs indispensable au perfectionnement de l’espèce. A travers elle, notre séjour sur terre, provisoirement définitif, devient définitivement provisoire.

Dans toutes les sociétés, le plus ardent souhait des parents est de faire de leurs enfants des adultes responsables, à travers l’éducation. C’est d’ailleurs la finalité de l’affection et de la prise en charge dont ils entourent leur progéniture. Les incertitudes et les impératifs de la vie ont servi de socle à l’aide et à la solidarité entre les membres d’une collectivité, auxquels celles-ci semblent corrélées à travers l’histoire et la géographie.  La solidarité, que Comte-Sponville considère, non comme une vertu, mais comme une valeur, est faite d’une cohésion, d’une interdépendance, d’une communauté d’intérêts ou de destin. Contrairement à la générosité qui consiste à offrir à autrui ce qui n’est pas sien et qui est vôtre mais dont il a besoin, sans arrière-pensée d’un éventuel renvoi d’ascenseur, la solidarité repose au moins en partie sur un égoïsme bien compris, où l’on attend de celui secouru parce qu’en difficulté aujourd’hui, un éventuel renvoi d’ascenseur. Dans tous les cas, aide et solidarité sont par essence limitées dans le temps, et ne doivent en aucun cas dédouaner le bénéficiaire de ses responsabilités, ni de son devoir de se construire et de se prendre en charge. Bien que source d’harmonie et de cohésion sociale (garantissant notamment la sécurité des possédants tout en subvenant aux besoins des nécessiteux), elles sont appelées à s’autodétruire, en permettant à leur bénéficiaire de sortir de sa condition présente et de basculer de l’assistanat à l’autonomie. Elles seraient contreproductives si elles maintenaient l’individu ad vitam aeternam dans sa condition d’assisté-résigné ou d’assisté-réclamant, susceptible d’être transformée en statut revendiqué, l’intéressé s’y complaisant avec fierté. Un tel détournement d’objectif (malheureusement trop couramment observé en Afrique noire où la loi du partage prime parfois sur celle de la productivité) aboutit à la déresponsabilisation du bénéficiaire qui transforme aide et solidarité en devoir envers lui, à travers l’inhibition du goût de l’effort et l’exploitation du potentiel dont il est nanti en qualité d’être humain. Il devient de ce fait plus exigeant envers autrui qu’envers lui-même, ce que dénonce Confucius. Ce détournement d’objectif conduit l’assisté à oublier qu’on n’est mieux servi que par soi-même. Cette surenchère d’exigence envers autrui aboutit dans la grande majorité des cas à une érosion des rapports entre assisté et assistant, le premier érigeant l’aide dont il est l’objet en devoir et la jugeant toujours insuffisante voire dérisoire, le second constamment déçu de voir son acte générer et alimenter paradoxalement une tenace et incompréhensible hostilité. On aboutit ainsi à un paradoxe saisissant : l’aide destinée à renforcer la cohésion devient source de discorde et d’animosité. Ainsi, il n’est pas rare de détecter ses pires ennemis et ses pires détracteurs parmi ses proches !

Un adulte normalement constitué, exempt de handicap majeur (situation fort heureusement majoritaire), doit s’assumer et se considérer comme responsable de tous ses actes, en comptant avant tout sur lui-même, en tenant compte de son unicité, en exploitant au mieux le potentiel enfoui en lui, et en s’efforçant de ne compter ni sur la famille, ni sur le clan, ni sur l’État, ni sur un éventuel héritage matériel (Jacques Attali). Une telle démarche sert de socle à l’hygiène préventive de la frustration et de la haine.

Le compter sur soi étant intimement lié à l’estime de soi et à la confiance en soi, il convient de cultiver ces deux derniers paramètres et se prémunir de tout ce qui pourrait concourir à leur érosion. Les parents et les enseignants ont un important rôle à jouer. L’on doit avoir à l’esprit qu’il n’existe aucune synonymie entre avoir raté et être un raté. Dans « Les vertus de l’échec », Charles Pépin rappelle le rôle déterminant de l’erreur dans l’apprentissage, tel que décrit par Gaston Bachelard (« La vérité n’est jamais qu’une erreur rectifiée »). Tout savant qui parvient à une vérité est préalablement passé par la phase d’erreur, le chemin vers la vérité étant plus souvent sinueux que linéaire. Il en est de même des parcours scolaire et universitaire dont la trajectoire n’est linéaire que chez très peu d’individus. La corrélation entre études et vie professionnelle n’est pas toujours systématique, et les parcours de celle-ci sont en outre faits de hauts et de bas. Les formateurs et les enseignants doivent rendre accessible et attractive leur matière, en la dépouillant du mythe pseudo-valorisant d’inintelligibilité et en se remettant en cause lorsque leur message passe mal. L’on doit s’efforcer de convaincre tout élève et tout apprenant de son aptitude à comprendre n’importe laquelle des matières, même celui nanti d’une intelligence lente. Il importe également de se garder de tout propos blessant et humiliant à l’endroit de l’apprenant qui commet une erreur, et de trouver les mots justes pour l’amener à tirer parti de celle-ci tout en préservant son estime de soi. De cette galvanisation de l’estime de soi pourront découler d’autres valeurs indispensables à la construction de soi, attestées par la trajectoire de multiples gens d’exception (Abraham Lincoln, Claude Bernard, Albert Einstein, Thomas Edison, Rafael Nadal, Wole Soyinka, Michael Jordan, Cheikh Anta Diop, Francis Ngannou, etc.) : le compter sur soi, le respect de soi et d’autrui, la confiance en soi, la ténacité, la répétition, le sens de l’honneur, la dignité et le sens critique.

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