La médecine apposée à la nature, la médecine opposée à la nature
Depuis toujours, la médecine, au carrefour de la science et de l’art, a pour principale mission et pour finalité la restauration de la santé. Elle a été confrontée à l’établissement de normes dont découlent la normativité et la normalité. L’élaboration des normes fait recours au plus couramment observé et à la moyenne. Elle a trait à une population et non à un individu, à une maladie et non à un malade. Sa prise en compte ne doit donc jamais faire perdre de vue la plus constante des caractéristiques du vivant, la variabilité. En outre, n’est pas toujours pathologique ce qui est anormal : avoir une taille de 185 cm dans une population où la taille moyenne est de 170 cm est anormal (parce que s’écartant nettement de la moyenne), mais n’est pas pathologique (parce que sans incidence sur la durée et la qualité de vie). Le culte de la norme, alimentée par la quête d’apposition à la nature, a parfois conduit à des mesures extrêmes : le recours à l’eugénisme consistant en l’élimination de malformés dont on redoute l’éventuelle prolifération par voie héréditaire, et/ou dont on rattache la venue au monde à une malédiction dont doit se débarrasser la famille. En dehors de ces cas extrêmes, la médecine s’est longtemps attelée à la restauration des fonctions normales. Avicennes, dans le Canon de la médecine, faisait état de la nécessité de traiter le mal par son contraire. Hippocrate, des siècles plus tôt, insistait sur l’impérieuse nécessité de ne pas nuire. Bichat arrimait la santé au silence des organes. La pierre angulaire de cette apposition à la nature réside dans le strict respect des fondamentaux à travers la satisfaction des besoins naturels et nécessaires au rang desquels figurent l’eau (la meilleure des boissons et principal constituant du corps humain (65% dans un organisme adulte de 70 kg)), le sommeil (source incontournable de la récupération physique, psychologique et intellectuelle), l’alimentation équilibrée et variée (garant à la fois de l’acquisition, du maintien et de la restauration de la santé) et l’hygiène dans ses volets alimentaire, corporel et environnemental (moteur principal de la prévention des maladies).
Au culte de la norme s’est aujourd’hui associée la révision de la norme, mettant en cause ce qui jusqu’ici paraissait immuable, conduisant la médecine à s’opposer à la nature au lieu de se contenter de s’y apposer. Ce changement est indissociable de l’extension du champ de la liberté individuelle, et du rétrécissement de celui de l’interdit d’hier. On peut ainsi demander à la médecine de changer la configuration de son corps afin de répondre à l’image aujourd’hui désirée et souhaitée : c’est l’un des buts assignés à la chirurgie esthétique dans sa forme non curative. On peut ainsi changer de visage, pour donner par exemple au nez, indemne de toute maladie, la forme souhaitée ; de même, on peut changer de sexe et satisfaire au désir d’avoir des organes génitaux du sexe opposé. Bien évidemment, ceci n’est pas sans soulever des problèmes éthiques dont les normes sont à géométrie et à sociologie variables.
Cette médecine, appelée à s’opposer à la nature, est nettement plus coûteuse que celle apposée à celle-ci, focus des besoins sanitaires d’une grande partie de l’humanité en proie aux maladies abrégeant l’espérance et la qualité de vie. La seule adduction en eau potable épargnerait l’Afrique de la forte mortalité induite par la consommation d’eau polluée, canal de nombreuses maladies infectieuses et parasitaires. De même, la sous-nutrition rend vulnérables et fragiles des millions d’enfants vivant dans la ceinture de pauvreté du globe. Les vaccinations à grande échelle représentent l’un des plus importants volets de prévention contre les maladies microbiennes.
Prônée dans les pays riches et véhiculée par la civilisation dominante, la médecine opposée à la nature étend son champ et bouscule les normes. Le bouleversement des repères affecte aujourd’hui le terrain de la paternité, de la maternité et celui de la généalogie, au point qu’il est absolument pertinent d’avoir l’esprit constamment taraudé par la question : jusqu’où irons-nous ?
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