Ces expressions et ces termes à la mode, meublant les propos et les discours ….

La mode, habitude en vogue dans une certaine région et pendant une période donnée, au carrefour de comment on se voit et de comment on aimerait être vu, affecte la quasi-totalité des activités humaines. Il en est ainsi de l’image du corps idéal (alternant diversement la glorification de la plénitude ou de la frêle fragilité), de la tenue vestimentaire (habillement et coiffure notamment, avec une importante influence de la civilisation et de la culture dominantes), de l’attribution des prénoms à leurs enfants par les parents, des plans architecturaux (architecture gothique du Moyen-Âge en Europe), ainsi que du langage et des autres canaux de communication. Dans le langage, l’usage des expressions à la mode est aujourd’hui amplifié par le numérique, avec le phénomène du copier-coller, entraînant une similitude voire une stéréotypie, donc une perte d’originalité des discours dont la fluidité peut en outre pâtir d’un manque d’harmonie entre les différents segments. De même, le recours abusif à ces concepts peut parfois en faire oublier le sens exact, le caractère faussement nouveau, et la finalité originelle. Dans tous les cas, la mode qui les véhicule les couvre d’une sorte de mythe et d’une forme de sacralité, avec en même temps un style fort peu personnel.

Au rang de ces concepts et expressions à la mode figurent le renforcement de capacités, les projets structurants, les financements innovants, les pays émergeants, le pays cité comme bon élève, le concept une seule santé, le développement durable, la résilience, le leadership, le benchmark, les goulots d’étranglement, le changement de paradigme, le développement personnel, le coach, les Objectifs du Développement Durable (ODD), les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), la santé pour tous en l’an 2000, les Objectifs 95–95–95, la mobilisation des ressources, les personnes à mobilité réduite, la validation, l’écosystème.

Les concepts au contenu franchement original sont exceptionnels, beaucoup ont une essence remontant à la nuit des temps, et apparaissant comme une simple modification du vernis sur un ongle resté intact. Ils ont peut-être dans ce cas le mérite de mettre au goût du jour un fait important mais risquant d’être négligé ou relégué au second plan. D’autres concepts, véhiculés par les organisations internationales, reflètent la vision du monde du dominant. Ainsi, la domination du monde par sa fraction anglosaxonne a élargi le champ d’utilisation des concepts par celle-ci véhiculée, en dépit de l’existence de leurs équivalents dans les autres langues. Il en est ainsi du « benchmark » et du « leadership ».

Dans le corpus hippocratique datant de plus de 2500 ans, le « père de la médecine » a mentionné le lien étroit existant entre l’eau et les aliments consommés, l’air respiré, et le cadre de vie d’une part, et les maladies contractées d’autre part. La même vision est partagée au Moyen-Âge par Avicenne dans le « Canon de la médecine ». N’est-ce pas là le fondement du concept « une seule santé »   en vogue aujourd’hui ? Dans le même ordre d’idées, Pasteur, le « père de la bactériologie » a très vite fait d’insister sur le fait que le microbe n’est rien, mais le milieu est tout. Sa démarche, la même que celle de ses lointains devanciers, a été confirmée par un fait indéniable : l’impact de l’hygiène et de l’assainissement sur l’allongement de l’espérance de vie en Occident, bien avant l’effet attendu des antibiotiques.

« Le renforcement de capacités » relève d’une mise à niveau et de l’intégration de nouvelles connaissances ou aptitudes relevant d’une profession. Il répond au besoin de formation continue rendue indispensable par la rapide obsolescence des connaissances, notamment médicales, l’imprimé étant rapidement périmé. Cette formation continue qui relève en partie d’une auto-formation, est aujourd’hui rendue obligatoire dans la carrière du praticien. Il est à déplorer que le renforcement de capacités en Afrique sub-saharienne soit l’objet d’un détournement d’objectif, généré qu’il est par l’appât de perdiem, à travers des ateliers aux cibles, aux thèmes et au rythme loin d’être toujours pertinents. Les participants aux ateliers sont souvent cérébralement outillés du contenu dispensé, la faiblesse du système ne résidant ni dans le savoir, ni dans le savoir-faire des acteurs, mais souvent dans les attitudes nécessaires à la mise en œuvre efficiente des concepts. La répétition d’ateliers est donc souvent improductive, d’autant qu’elle se fait aux dépens du temps nécessaire à la mise en œuvre des compétences et recommandations supposées acquises lors des précédentes sessions. En outre, il n’est pas rare que l’atelier soit animé par un consultant déconnecté, aux compétences parfois comparables voire inférieures à celles de certains des participants à l’atelier !

Le benchmark correspond à la revue de la littérature sur un sujet objet de recherche, notamment en médecine. Il correspond à l’état des lieux fait préalablement par le chercheur, afin de situer son sujet dans le temps et dans l’espace. Il s’en sert notamment dans l’élaboration du protocole et procède, au terme de l’étude et lors de la rédaction de l’article y afférent, à une comparaison avec les données issues de cette revue de la littérature. Il en dégage les aspects concordants et les aspects discordants, puis tente à chaque fois d’apporter des explications.

Ainsi, les discours se trouvent truffés d’expressions et de mots en lien avec des concepts rarement nouveaux, et dont la stéréotypie et la phraséologie sont alimentées par l’outil numérique permettant le copier-coller, aux antipodes de la créativité et de l’imagination. En même temps, ces expressions à la mode alimentent le langage d’experts et de consultants dont le profil répond souvent à cette pensée de Serge Bouchard : « Le savant le plus grand est celui qui connaît les limites de son savoir, c’est-à-dire l’infini de son ignorance. Voilà pourquoi vous voyez si peu de savants à la télévision, alors que cette dernière convient si bien aux experts ».

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