Détrompons-nous et gardons-nous de tromper la jeunesse

Le domaine de l’apprentissage à l’instar de tous les autres est dynamique, en raison d’une inéluctable évolution dans le temps tout comme dans l’espace. A la méthode forte mettant en cause le seul apprenant en cas d’échec, et magnifiant les plus brillants et la compétition (au lieu de l’émulation), a succédé celle prenant en compte les trois composantes de l’apprentissage : l’enseignant, l’apprenant et l’environnement. Chacun de ces facteurs concourt au résultat obtenu au terme de l’évaluation de l’apprenant. La prise en compte de cette triade a abouti à la raréfaction puis à la suppression du bâton auquel succéda l’échange destiné au décryptage étiologique du résultat de l’apprenant, notamment en cas d’échec. Ceci est d’autant plus logique qu’il y a souvent plus de mauvais enseignants que de mauvais apprenants. En outre, les méthodes et moyens d’apprentissage sont fortement impactés par les progrès   technologiques : la reprographie puis l’outil numérique ont à la fois légitimé et banalisé certaines approches, tout en élargissant l’éventail de l’accessibilité au savoir. L’instituteur et le professeur ont ainsi vu la centralité de leur posture érodée, le cours magistral fait d’une perfusion de connaissances nettement marginalisé, et la part et le rôle pris par l’apprenant dans sa formation élargis.

Cependant, il importe d’éviter que cette évolution ne soit source de confusionnismes conceptuels : le facile accès à l’information n’est pas à confondre avec la possession de celle-ci, qui n’en est pas une conséquence  inéluctable et systématique ; la facile possession des outils du savoir n’est pas à être prise pour la maîtrise de celui-ci ; la détention de l’information n’a pas à être assimilée à la possession de la culture, celle-ci étant à celle-là ce que la musique est au bruit ; la volonté de l’apprenant à apprendre et à acquérir des connaissances n’est pas à minimiser, génératrice d’un effort constant, étant la clé de voûte et le facteur le plus déterminant de tout apprentissage et de toute formation.

Thomas Edison a eu raison de penser que le génie est fait d’un pour cent d’inspiration et de quatre-vingt-dix-neuf pour cent de transpiration. C’est dire l’importance du goût de l’effort et de l’ardeur au travail, d’ailleurs magnifiés par toutes les civilisations et toutes les cultures. La valeur que revêt l’ardeur au travail n’est pas étrangère au fait que son antonyme, la paresse, figure parmi les sept péchés capitaux formalisés au VIème siècle par Grégoire le Grand. Toutes les figures qui ont marqué l’histoire ont été le fait de travailleurs acharnés, même si la réussite comporte une dose de chance et de hasard, ces deux facteurs ne souriant d’ailleurs qu’aux esprits préparés. Il en est ainsi des grands scientifiques, des chercheurs de renom, des inventeurs, des grands penseurs, des artistes, des écrivains et des sportifs, et ce, qu’ils revêtent le profil ordinaire ou qu’ils relèvent des génies. Voilà pourquoi l’assiduité est en tête des onze qualités requises pour apprendre, les dix autres étant l’enthousiasme, le plaisir, la curiosité, l’aspiration, l’imagination, l’autodiscipline, la civilité, la coopération, l’honnêteté et l’initiative (Banner Jr et Cannon). L’assiduité est d’ailleurs l’un des traits de caractère les plus marquants du surdoué, qui « pense sur tout, tout le temps, intensément » (Jeanne Siaud-Facchin). Jacques Attali va jusqu’à accorder le plus grand prix au travail allié à la ténacité et à la répétition, aux dépens du génie auquel il affirme ne pas croire. Démosthène, homme politique grec et grand adversaire de Philippe II de Macédoine, souffrant d’un défaut d’élocution, se serait rééduqué seul en déclamant au bord de la mer des cailloux dans la bouche pour devenir le plus grand orateur de son temps. Cristiano Ronaldo fait 300 pompes et 1000 abdominaux par jour. Certains élèves des toutes premières écoles ouvertes au Togo à l’époque coloniale, aujourd’hui octogénaires ou nonagénaires, ont appris assidument à écrire en se servant du doigt comme écritoire et du sol comme ardoise. Ils ont une écriture remarquable, comportant le strict respect des pleins et des déliés, dont on ne peut qu’être admiratif.

Le goût de l’effort et du travail soutenu est indissociable de la répétition, le tout exigeant plusieurs heures de labeur et concourant à améliorer les performances. Cette démarche confère à son auteur la posture d’éternel apprenant dont les improvisations sont constamment préparées. Mozart bien qu’ayant composé sa première symphonie à huit ans faisait des séances de répétition en prélude à ses concerts. De même, de Gaulle répétait assidument ses discours devant un grand miroir. En dépit de l’inspiration dont ils sont indéniablement nantis, les grands classiques africains (Cheik Anta Diop, Alain Mabanckou, Amadou Kourouma, Amadou Hampaté Ba, Frantz Fanon, Chinua Achebe, etc.) étaient imbibés d’un goût immodéré de l’effort, socle d’une parfaite maîtrise de la langue occidentale héritée de la colonisation et d’une prodigieuse production littéraire. L’utilité de la répétition est fortement illustrée par la découverte d’autres aspects à la relecture d’un texte que l’on croyait avoir bien compris. Albert Jacquard va jusqu’à se méfier de compréhensions ultrarapides, exposant ceux qui en ont l’aptitude au risque de superficialité.

L’effort et l’assiduité sont à la base de la maîtrise des humanités, de la culture générale et de l’auto-formation continue. Se trouve ainsi mise en exergue la différence et la nuance entre apprendre et s’instruire. Il n’est pas rare d’observer une érosion des acquis au fil du temps, le détenteur d’un diplôme ayant un niveau inférieur à celui qui était le sien à l’obtention de celui-ci. Tout se passe comme si les efforts déployés lors de la formation visaient exclusivement l’obtention du diplôme. On s’est ainsi acharné à apprendre par contrainte, en ingurgitant des concepts et des notions objet d’une évaluation sanctionnée par l’obtention d’un parchemin. A l’inverse, s’instruire résulte d’un engagement, d’une initiative, d’une curiosité et d’une volonté personnels, facilitant l’acquisition permanente de connaissances souvent interconnectés. On peut ainsi être amené à apprendre ce qu’on ne voudrait pas savoir (juste pour obtenir son diplôme par exemple), mais on veut toujours savoir les choses dont on s’instruit. Un rapprochement peut être fait avec l’éducation religieuse : les parents s’attellent à transmettre leur religion à leurs enfants, sous forme de rites, de textes et de pratiques. Il est à souhaiter que l’enfant devenu adolescent puis adulte s’attelle à en comprendre les sens et les fondements. Cette deuxième phase bien menée épargne de l’intolérance et permet la découverte de la convergence des fondamentaux servant de générique à la plupart des religions.

Le système LMD (Licence-Master-Doctorat, à dissocier de Laisse-Moi-Dormir) mis en œuvre depuis une quinzaine d’années dans nos universités, est en réalité plus exigeant, car faisant appel au sens de responsabilité de l’apprenant désormais traité en adulte vacciné, acteur de sa propre formation, incité à s’instruire davantage, sans se contenter d’une perfusion de connaissances.

L’assiduité et l’acharnement au travail sont alimentés par la volonté de se prendre en charge, d’être responsable, de ne compter que sur soi, d’avoir constamment à l’esprit le sens à accorder à une éventuelle aide qui, quelle que soit son importance et quelle que soit son origine, ne saurait se substituer à l’effort que l’individu doit déployer pour se construire. Pour Confucius, exiger beaucoup de soi-même et attendre peu d’autrui met à l’abri de beaucoup d’ennuis. Le compter sur soi est indissociable du respect de soi, lui-même fortement lié à la prise en compte de son unicité et du potentiel dont est doté chaque être humain. La tendance visant à compter avant tout sur autrui au nom d’une quelconque solidarité est contre-productive, voire nocive, puisqu’entravant l’exploitation de son propre potentiel (Jacques Attali). Le trop compter sur autrui, fréquente source de frustration, inhibe l’auto-critique ainsi que l’éclosion et l’exploitation de ses propos talents. Le cas du boxeur Francis Ngannou, à 37 ans le sportif africain le mieux payé dans un sport individuel, illustre parfaitement le rôle de la détermination, de la confiance en soi et du respect de soi dans la réussite. Ce Camerounais a connu une enfance difficile, faite d’une extrême pauvreté et d’un enchaînement de petits boulots pour survivre, avant d’affronter le Sahara et la Méditerranée pour rejoindre l’Europe dans une embarcation de fortune. Le franchissement illégal de la frontière lui a valu deux mois de prison ferme en Espagne.

Ainsi, toutes formes d’intelligences confondues, tous domaines confondus, toutes cultures confondues, toutes époques confondues, toutes approches pédagogiques confondues, tous modes d’apprentissage confondus, le goût de l’effort, l’assiduité et l’attachement au travail restent des valeurs indispensables à tout développement, tant individuel que collectif. Croire à l’érosion de ces valeurs par la mise en œuvre de nouveaux outils d’apprentissage ou la mise à profit de la facilitation induite par un nouvel environnement est un leurre dont il convient de débarrasser aussi bien notre esprit que celui de notre jeunesse.

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *