Enseigner la médecine

La formation médicale a toujours relevé du couplage maîtrisé de deux arts, celui de l’enseignement et celui de la dispensation des soins. Cet impératif a servi de socle aux plus célèbres des écoles, notamment celle hippocratique, avant de nourrir la triple fonction dévolue à l’hospitalo-universitaire, colonne vertébrale de la loi Debré : les soins, l’enseignement et la recherche. Ces trois entités intimement intriquées se nourrissent l’une de l’autre, aussi inséparables que les cadres leur servant de champs d’expression, la faculté et l’hôpital. La combinaison des deux arts a pour effet direct l’élévation du niveau d’exigences, que ne peuvent satisfaire qu’une vocation, une passion, un détachement et un sens du partage sans faille. L’importance du savoir-être a longtemps conduit les soignants des quatre coins du monde à faire de leur art une chasse gardée, objet d’une transmission de père en fils, supposée garantir un moulage précoce. L’ouverture des vannes, permise par la démocratisation de l’art de soigner consécutive à la révolution scientifique et technique, l’a désacralisé et démythifié, tout en horizontalisant les rapports médecin-malade et formateur-apprenant. Ces rapports ont considérablement été impactés ces dernières années par le numérique qui a davantage dépossédé la faculté du monopole du savoir médical qu’elle détenait. Tous ces aspects sont aujourd’hui à prendre en compte par qui veut mener une carrière hospitalo-universitaire.

Enseigner, c’est contribuer à rendre fécond ce fabuleux organe qu’est le cerveau, à l’origine de la place haut perchée que nous occupons sur la pyramide des êtres vivants. Enseigner, c’est former sans conformer, tout en s’attelant à transformer l’apprenant en vue de sa pleine réalisation. Cette base de raisonnement est valable dans tous les champs du savoir. Enseigner l’art de soigner relève de la conjonction de deux noblesses, nourries par le souci de partage et l’extraordinaire vertu de générosité, basée sur le don et consistant à offrir à l’autre ce qui n’est pas sien et qui lui manque. On ne donne habituellement que ce que l’on possède, à condition de n’en être pas possédé (André Comte-Sponville). Fait capital, dispenser un savoir renforce celui détenu par l’enseignant à travers les échanges avec l’apprenant dont les questions, les hésitations, les erreurs et les difficultés l’enrichissent, en remettant en cause ses certitudes et ses acquis, et en démasquant des poches d’ignorance méconnues de lui jusqu’alors. « C’est en aidant l’autre à comprendre que l’on vérifie que l’on a soi-même compris, et surtout que l’on constate n’avoir pas encore tout à fait compris ». (Albert Jacquard). Ceci suppose des rapports horizontaux, à la fois conviviaux et distants, avec la conviction de l’enseignant du parti qu’il tire des échanges avec l’apprenant qu’il traite en adulte et se garde d’infantiliser. Le partage et la transmission du savoir, notamment pratique au lit du malade, incombent à tout soignant, universitaire ou non. Ils servent de socle à la mission dévolue à la faculté, aux écoles et aux centres de soins. La générosité attendue d’un enseignant fait corps avec d’autres qualités complémentaires et intriquées : esprit pédagogue, autorité proportionnée, culture générale, sens de l’écoute et psychologie, sens de l’organisation, créativité, polyvalence, passion pour son métier, maîtrise des outils informatiques, et curiosité (Istvan Drouyer).

La culture générale, indissociable de l’ouverture d’esprit, permet d’expliquer le complexe par le simple, de multiplier des exemples et des analogies, de recourir à des métaphores, des formules, des aphorismes et des raccourcis saisissants, facilitant aussi bien la compréhension que la rétention, de tout aborder de façon décloisonnée à travers une démarche basée sur l’interconnectivité des savoirs, telle établie avant la théorie de l’arborescence de Descartes. Une telle démarche que galvanise en outre des modèles contemporains ou historiques permet à l’auteur d’affiner la maîtrise de son domaine qu’il rend intelligible car dépouillé de tout mythe et de toute mystification. La passion du métier d’enseignant, le sens de l’écoute et la psychologie, permettent la prise en compte de la diversité des intelligences, les trop rapides pouvant être superficielles, les lentes pouvant être profondes, et les émotionnelles pouvant être négligées aux dépens des rationnelles. La conviction de l’enseignant que sa matière est accessible à la quasi-totalité de ses apprenants est impérative. Ainsi se trouve relativisée la portée du quotient intellectuel et valorisé chacun des apprenants, tout en tenant compte de l’extrême diversité du vivant. Une prudence est à observer devant une intelligence trop rapide, en raison du risque de superficialité, et de la nécessité par conséquent de s’assurer que l’apprenant qui en est détenteur a franchement compris, ce qu’il est parfois difficile de comprendre étant de comprendre qu’on n’a pas compris (Albert Jacquard). De même, la patience doit être de mise devant une intelligence lente dont le détenteur doit être convié à l’endurance et à la ténacité, à l’instar d’Einstein et de Claude Bernard.

Aussi, la valorisation de l’apprenant est capitale, tout étant dans le mental. Cette valorisation de l’apprenant par son enseignant et son entourage aiguise en lui le goût de l’effort, élargit à l’infini le champ du possible, lui permet de prendre conscience de son unicité, de se faire confiance, de croire en lui, de s’éclater, d’explorer les coins et les recoins de ses aptitudes et facultés, et de donner le meilleur de lui-même. LMD revêtira ainsi son vrai sens (Licence-Master-Doctorat) et ne sera jamais confondu à « Laisse-Moi Dormir » ! L’érosion de l’estime de soi de l’apprenant par des propos blessants et humiliants de l’enseignant constitue sans nul doute l’un des péchés capitaux en pédagogie. Des élèves sont subitement devenus brillants dans une matière où ils avaient fait preuve d’une imperméabilité méningée suite au seul changement de l’enseignant. Entourer sa matière d’un halo de mystère pour se valoriser relève d’une impardonnable bassesse. En cas de faux pas, l’enseignant doit se rappeler le droit à l’erreur et rappeler à l’apprenant les vertus de l’échec, la vérité n’étant jamais qu’une erreur rectifiée (Gaston Bachelard). L’histoire est truffée d’erreurs et de fausses théories émanant des plus grands : il en fut ainsi de la génération spontanée (émise par Aristote) qui domina la pensée pendant deux millénaires, avant d’être démentie par Pasteur. On ne devient pas un raté pour avoir raté une épreuve ou un test (Charles Pépin). A travers la valorisation et les encouragements, se trouve aiguisé et renforcé l’essentiel voire l’indispensable, c’est-à-dire le goût et la passion de la matière ou du métier, ouvrant la voie au statut d’éternel apprenant. Par la valorisation, s’établissent un respect et une fierté réciproques entre l’apprenant et l’enseignant.

La valorisation de l’apprenant implique de le traiter en adulte vacciné. La tendance à l’infantilisation souvent issue de l’exploitation abusive du droit d’aînesse est dommageable. L’écart d’âge est l’un des facteurs justifiant les postures respectives des deux acteurs, celle de l’enseignant et celle de l’apprenant. Il n’est cependant pas l’unique facteur, et avoir parmi ses apprenants des gens plus performants que soi doit être l’un des objectifs de l’enseignant. C’est la condition sine qua non du progrès. Un effort mental est donc à faire, notamment en Afrique, où le respect de l’âge et de l’expérience peut faire oublier que celle-ci est parfois trompeuse, ne reposant que sur le déjà vécu, et exempte des données étrangères au passé de l’individu. Doit être cultivé le souci de la vraie grandeur, celle de transformer les petits en grands. Doit également être cultivée la faculté de remise en cause servant d’assise à la recherche, l’imprimé étant rapidement périmé, en raison de la rapide obsolescence des connaissances médicales.

L’enseignement de l’art de soigner relevant avant tout de la pratique, l’hôpital en constitue le principal champ d’exercice.  Il émane d’un maître et permet l’arrimage de la théorie à la pratique, en même temps que l’acquisition du savoir-être, pilier des rapports soignant-soigné. Fait capital, on enseigne plus par l’exemple que par le verbe. Le respect du malade, indissociable de celui de la personne humaine, est l’un des fondamentaux à transmettre. Doivent ainsi être proscrits les gestes et propos inappropriés (tutoyer d’emblée le malade, sonner pour le faire entrer à la salle de consultation au lieu de se lever, l’accueillir et le faire entrer dans celle-ci, puis l’accompagner après la consultation). La consultation bien menée permet à l’apprenant de vivre au quotidien l’usage fait par le maître de la culture générale, permettant de distraire le malade pendant que la nature le guérit (Voltaire). Le stage permet notamment à l’apprenant d’acquérir la plus grande vertu du métier, l’humilité, à travers la constante prise de conscience de l’étendue de son ignorance encyclopédique, le maître n’hésitant pas à faire cas de la sienne propre, épargné qu’il est de l’idée qu’il sait tout (Maïmonide), et conscient qu’il est du caractère trompeur de l’expérience (Hippocrate). Le maître par son attitude assure l’attractivité du métier et suscite des vocations, amenant ainsi l’apprenant à transformer tout obstacle et toute difficulté en occasion de perfectionnement. L’infirmité à susciter des vocations fait du maître un roi sans royaume, symptomatique d’un égoïsme toxique, à vite dénicher par les responsables des facultés et universités, car illustrant une volonté d’augmenter son pouvoir par refus de partager son savoir.

La complexité de la médecine et l’impact du praticien sur les approches expliquent la diversité de celles-ci, rendant nécessaire la pratique de stages auprès de différents maîtres. Hippocrate dont l’île natale présentait toutes les commodités de son initiation à la médecine, voyagea une douzaine d’années dans de nombreuses provinces environnantes pour parfaire ses connaissances auprès de différents maîtres. Laennec, élève de Corvisart (premier médecin de Napoléon), a parcouru de longues distances pour apprendre l’auscultation immédiate (le praticien posant directement son oreille sur la poitrine du patient) avant l’invention par lui de l’auscultation médiate au stéthoscope, inspirée par sa pudeur à poser de façon appuyée son oreille sur la poitrine d’une jeune femme qu’il examina en 1816.

Le spectre de formation de l’apprenant doit embrasser toutes les activités de son lieu de stage, notamment celles relatives à la salubrité, à l’administration, à la gestion et au fonctionnement. Ces activités ne sont pas à reléguer au second plan parce que ne relevant pas de soins. La négligence dont elles sont l’objet de la part des praticiens est profondément dommageable dans nos hôpitaux. Elle est imputable à l’oubli du rôle de l’hygiène et de l’assainissement du milieu dans l’allongement de l’espérance de vie. Un hommage est à rendre aux entités confessionnelles dont la bonne tenue rappelle que le caractère limité des ressources ne saurait justifier l’insalubrité, balayer et laver étant accessibles à tous. L’importance de l’hygiène, connue depuis le Néolithique, a été confirmée à travers tous les autres temps de l’histoire, avant d’être sacralisée par Pasteur (le microbe n’est rien, le milieu est tout) et le net recul des maladies infectieuses et parasitaires après les travaux d’assainissement menés à grand échelle dans différents pays, notamment en Occident, au lendemain de la révolution industrielle. Ceci est bien évidemment en lien avec la prévention, car s’il est bien d’aller mieux, il est mieux d’aller bien.

Il découle de ce qui précède que la formation médicale revêt des exigences que l’on ne saurait satisfaire que par une passion et un amour inégalités des vertus de générosité et d’humanisme. L’évaluation fiable de ces critères a toujours préoccupé les écoles et les maîtres des arts de soigner et d’enseigner. Ces deux arts, sacerdoces par essence, imposent pour leur plein exercice, un important investissement personnel, un détachement et une haute élévation de l’esprit permettant constamment de se couvrir du terre-à-terre. La carrière de l’hospitalo-universitaire pourra ainsi comporter différentes phases articulées autour des cinq étapes d’une vie professionnelle accomplie : apprendre à faire, faire, montrer comment faire, faire faire, et laisser faire.

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