« Que ton aliment soit ta seule médecine » Hippocrate
Se nourrir et être en bonne santé, besoins naturels et nécessaires intimement liés, ont été une préoccupation constante de l’humanité. Le lien entre l’alimentation et l’état de santé, suspecté de longue date par nos lointains ancêtres, s’est confirmé au fil du temps. Ce lien qui intervient aussi bien en amont (aliments générant ou prévoyant la maladie) qu’en aval (aliments contribuant au recouvrement de la santé), est indissociable de la mission première assignée à la médecine, s’apposer à la nature. Les spiritualités et les saintes écritures en ont très tôt pris conscience, hissant la gourmandise au rang de péché capital, et son antonyme au rang de vertu. Ce lien est également en phase avec la dépendance de notre santé à notre environnement, à notre éducation, à notre perception du monde, et à notre culture, servant de socle à l’interdépendance de toutes les composantes de notre vie et corroborant l’aspect tentaculaire de la santé, vaste encyclopédie dont la médecine n’est qu’un chapitre. Le concept « une seule santé » n’en est que la parfaite illustration.
L’histoire de l’alimentation, objet d’un ouvrage de Jacques Attali, est passionnante, de même celle de ses liens complexes avec la santé, remarquablement évoqués par Claude Jaffiol. L’étroitesse des liens entre l’alimentation et la santé a été reconnue depuis la Préhistoire. Les famines et les guerres ont été à l’origine de carences, l’eau contaminée et les intoxications d’épidémies de choléra, et les excès alimentaires de maladies de la pléthore.
La chasse, la pêche et la cueillette servaient de sources à l’alimentation de l’homme du Paléolithique, essentiellement nomade. La découverte du feu, remontant à environ 400.000 ans, permit la cuisson des aliments. La viande (issue du gibier et pauvre en graisses) et les végétaux (source de fibres) occupaient une part importante de la ration. Les maladies de pléthore que nous connaissons aujourd’hui étaient rares chez nos lointains ancêtres chasseurs-cueilleurs. Le Néolithique fut marqué par une mutation faite de la sédentarisation, du regroupement de populations et du passage d’une alimentation de survie à une alimentation organisée autour de l’élevage et de la culture de plantes sélectionnées, le tout donnant naissance à l’agriculture. Une diversification alimentaire caractérisa l’Antiquité à travers ses civilisations phénicienne, égyptienne, grecque et romaine. Le lien entre santé et alimentation fut de plus en plus établi, notamment chez les Grecs et les Romains, avec Hippocrate et Galien qui considéraient l’aliment comme partie intégrante de l’équilibre entre les quatre éléments (air, eau, feu et terre) et les quatre tempéraments (mélancolique, lymphatique, sanguin et colérique). L’importance de ce lien fut par la suite soulignée au Moyen-Âge par des médecins arabes, notamment Rhazès (« Tant que tu peux soigner avec des aliments, ne soigne pas avec des médicaments »). La relation alimentation-santé sera davantage étayée par certaines maladies, favorisées par des excès et ménageant les sobres, surtout lorsqu’elles affectent des têtes couronnées ou d’illustres personnages au mode de vie bien connu. Il en fut ainsi de la goutte, longtemps considérée comme un marqueur de réussite sociale, et le prix à payer de l’opulence traduite par le surpoids (Jean-Louis Schlienger). Alexandre Le Grand, Charles Quint, Charlemagne, Louis XIV, Calvin, Diderot, Beethoven, Darwin, Newton, Henry VIII, Christophe Colomb, Léonard de Vinci, Charles Dickens, Michel-Ange, Karl Max, et le pape Clément XII en ont souffert. Jusqu’au XVIIIème siècle et bien que leur mécanisme ne soit pas connu, les maladies d’origine alimentaire ont donné lieu à des descriptions précises et à des mesures utiles. Ce fut le cas de la goutte contre laquelle des régimes réduisant la consommation de viandes furent préconisés, longtemps avant l’établissement de son lien avec l’acide urique. Ce fut également le cas du goitre endémique pour lequel étaient prescrits depuis l’Antiquité des produits d’origine marine sans que l’on ait eu connaissance de l’existence de l’iode et de son rôle dans le fonctionnement de la thyroïde. La célèbre sentence remontant à l’Antiquité est reprise par Molière dans L’avare : « J’entends manger pour vivre, d’autres entendent vivre pour manger ». Le médecin rejoint ainsi le moraliste, en rejetant la gloutonnerie tout en magnifiant la nécessité vitale de se nourrir.
La découverte des microbes par Pasteur au XIXème siècle fut un tournant décisif, en démontrant l’origine microbienne des maladies infectieuses, ouvrant la voie aux futures règles d’hygiène alimentaire et hydrique.Les progrès du XXème siècle, notamment ceux issus de la recherche fondamentale, allèrent dans le même sens, en donnant, avec les enquêtes épidémiologiques, un socle scientifique aux liens entre la santé et l’alimentation. Le rôle de la sous-alimentation, des carences qualitatives et quantitatives, de la pléthore, des intoxications, et de tous les facteurs y concourant, dans la survenue de maladies, fut ainsi étayé et affiné. Au rang des maladies entretenant des liens avec l’alimentation figurent celles gravitant autour de l’obésité (diabète, hypertension artérielle et autres maladies cardiovasculaires, cancers), celles induites par des substances toxiques (alcool, agents issus de pratiques agricoles et industrielles comme les pesticides), et celles gravitant autour de diverses carences (rachitisme). Se trouvent ainsi corroborés non seulement les liens entre alimentation et santé, mais aussi ceux entre celle-ci et la culture, le mode de vie, la perception du monde et l’environnement. Se trouve également illustrés les bienfaits d’une alimentation saine et équilibrée, incontournable pivot préventif, comme préconisé par les anciens, au rang desquels figure le célèbre médecin de la Grèce antique, Hippocrate.
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