Tout est multifactoriel, tant en médecine qu’ailleurs

Déterminer la cause des phénomènes a toujours caressé l’esprit humain, même si la science s’est plus souvent contentée d’expliquer le comment que le pourquoi des choses.  Cette constante semble inoxydable, même si par ses fulgurants progrès, la science a fait de nous des dieux avant même que nous méritions d’être des hommes (Jean Rostand). Le rayon lumineux projeté sur la médecine dans la seconde moitié du XIXème siècle a servi de socle à une approche rationnelle des maladies. Ainsi, la découverte des microbes inaugurée par Pasteur et Koch a permis de rattacher une maladie à son agent causal microbien. Les lois de l’hérédité établies par Mendel ont fourni une explication rationnelle à l’origine des maladies que l’on savait transmises de père en fils. La découverte du milieu intérieur par Claude Bernard ouvrit la voie au décryptage du fonctionnement des organes. Darwin, par le biais de la théorie de l’évolution, démontra notre appartenance à la longue lignée des primates, portant ainsi un coup de massue à notre orgueil. Mais très vite on se rendit compte, par l’histoire et par l’observation attentive des faits, de l’erreur consistant à rattacher la survenue d’une maladie à une seule cause, à son seul agent pathogène. Le XXème siècle balisa cette remarque, aboutissant à l’abord multifactoriel des maladies, démarche indispensable tant dans la prise en charge des malades à l’échelle individuelle que dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de santé. Par extension, on se rend compte que la quasi-totalité des phénomènes ont une survenue et une évolution dépendantes de causes diverses et variées, variablement intriquées. L’approche uni-factorielle, bien qu’accommodante pour l’esprit, relève souvent d’une simplification abusive.

Les maladies rigoureusement uni-factorielles sont rares. Il en est ainsi de la drépanocytose, absolument héréditaire, au point de pouvoir constituer un test indirect de paternité. L’hématozoaire est l’agent responsable du paludisme, le bacille de Koch celui de la tuberculose, et le Yersinia pestis celui de la peste. Celle-ci fit des ravages en Europe au Moyen-Âge, décimant la moitié de la population adulte de certains pays. Cependant, on se rendit compte que des personnes ont survécu à d’authentiques cas de peste dont elles furent guéries. Le port de l’hématozoaire après sa transmission par le moustique n’entraîne pas systématiquement la survenue du paludisme. Il en est de même du bacille de la tuberculose dont la prolifération n’engendre la maladie que sur un terrain affaibli. La rougeole, bénigne chez l’enfant antérieurement bien portant, peut être invalidante et grave chez celui malnutri vivant dans de mauvaises conditions d’hygiène. Il apparaît ainsi que la présence du microbe est une condition nécessaire mais non suffisante à la survenue des maladies infectieuses. D’autres facteurs, variables d’une personne à l’autre, y contribuent. Ceci permit à Pasteur d’affirmer que le microbe n’est rien mais le terrain est tout. Est ainsi mis en exergue le rôle de l’environnement dans la propagation et la survenue des maladies infectieuses. La méningite cérébrospinale, surtout présente dans la ceinture méningitique, est favorisée par le vent sec et poussiéreux caractéristique de l’harmattan ; les déplacements massifs de populations consécutifs aux conflits armés sont propices au choléra, que favorisent les inondations ; les animaux transmettent les zoonoses (maladie à virus Ébola) à l’homme. La répartition géographique de celle-ci est indissociable de celle de ceux-ci. L’interaction entre l’homme, l’environnement et les animaux sert de socle au concept « une seule santé », formalisé au XXème siècle, bien que déjà perceptible au Néolithique au lendemain de la sédentarisation. Ce concept est aux antipodes de l’approche réductionniste visant à restreindre le champ la santé à celui de la seule médecine qui en constitue en réalité un affluent.

L’approche multifactorielle, explicative de l’origine, de la survenue et de l’évolution des maladies microbiennes, est encore plus marqué dans le champ des maladies non transmissibles. L’hypertension artérielle, le diabète et les cancers résultent de l’intrication à des degrés variables de facteurs héréditaires, constitutionnels, alimentaires, endocriniens, culturels, microbiens, environnementaux, etc. Le risque du cancer de la prostate, corrélé à l’âge, est nettement plus élevé chez un sujet dont un parent en a souffert. L’obésité qui favorise la plupart des maladies non transmissibles est elle-même générée par des facteurs héréditaires, alimentaires, culturels, constitutionnels, etc. L’image du corps idéal qui fait la part belle à l’embonpoint est ainsi un facteur favorisant de l’obésité et par conséquent des maladies qui en découlent. A contrario, l’obsession de la mincir visant à répondre à certains canons de beauté par le biais de certains régimes peut être préjudiciable et faire le lit de certaines carences. De même, l’idéalisation de l’éclaircissement de la peau conduisant à l’usage de produits y concourant peut favoriser la survenue de certaines maladies (infections, cancers, obésité).

Le caractère multifactoriel des maladies s’étend aux autres domaines de la vie. La réussite, quelle qu’en soit la définition, est multifactorielle, car résultant de la conjonction de nombreux paramètres, dont l’effet conjugué conduit à se trouver au bon endroit et au bon moment. Le risque d’aléas est tellement élevé qu’il n’est pas superflu d’évoquer le facteur chance devant toute réussite. Le paramètre déclenchant ou moteur qui a concouru à la réussite d’une personne peut être frénateur chez une autre. Il est cependant indéniable que le goût de l’effort et l’ardeur au travail sont des facteurs déterminants, avec leur effet multiplicateur de chances et d’ouverture de portes et d’opportunités, le génie étant fait d’un pour cent d’inspiration et de 99% de transpiration (Thomas Edison). Ces paramètres, totalement arrimés au respect de soi et à la confiance en soi, incitent à galvaniser ceux-ci, afin d’amener l’individu à exploiter au maximum les aptitudes dont il est potentiellement doté. Les enseignants sont ainsi interpellés, leur attitude pouvant impacter considérablement les performances des apprenants. La réussite scolaire ne dépend pas que des seules aptitudes intrinsèques de l’apprenant. Elle est multifactorielle, liée à la contribution des parents, à l’environnement, et bien sûr aux enseignants. Tout ce qui concourt à l’amélioration de l’estime et du respect de soi de l’élève y contribue. Des exemples abondent, où le changement du cadre ou de l’enseignant s’est soldé par des performances contraires aux précédentes. De même, des exemples sont légion où l’érosion de l’estime de soi de l’apprenant a abouti à la catastrophe.

Les huit ballons d’or conquis par Messi relèvent certes d’un talent exceptionnel, mais aussi de beaucoup d’autres paramètres, parfois indépendants de lui. Comme il a souvent eu à le dire, il doit ces trophées issus d’un sport collectif à ses coéquipiers, à son entraîneur, à son club, à la famille dont il est issu et à celle qu’il a engendrée, ainsi qu’à la chance de n’avoir pas été victime d’un accident handicapant. Le souci de se retrouver dans la cour des plus grands que sont Pelé et Maradona a certainement influencer son mental. En outre, la rivalité avec Ronaldo l’a certainement conduit à élever le niveau de son jeu en allant puiser jusqu’aux tréfonds de ses aptitudes. Un adversaire, un rival, un concurrent, est loin d’être exclusivement nocif, même si les rapports sont susceptibles d’être imbibés d’une dose de haine. Dans les 48 lois du pouvoir, Robert Greene fait état du service que l’on peut tirer de ses ennemis utilisés à bon escient. S’il est vrai que la générosité figure au rang des plus louables vertus et l’avarice au rang des péchés capitaux, le refus de partager qui caractérise l’avare peut inciter à ne pas compter sur lui mais plutôt sur soi-même, aidant ainsi à grandir. Au rang de ceux qui mènent le monde, figurent depuis l’Antiquité des orphelins, répertoriés par Rentchnick, Haynal et de Senarclens, à travers les biographies de 400 célébrités. Tel fut le cas de César, de Cléopâtre, de Ramsès II, de Soundiata Kéita, de Louis XIV, de Napoléon, de Washington, de Marx, de Lénine, de Staline, d’Hitler, de Roosevelt, et de nombreuses figures du monde de la littérature (Molière, Racine, Balzac, Nerval, Hugo, Renan, Rimbaud, Proust, Joyce, Poe, Tolstoï, Keats, Rousseau, Wordsworth, Max Weber, Baudelaire, Stendhal, Camus et Sartre, etc.). Le traumatisme affectif majeur, lié à la perte d’un ou des deux parents pendant l’enfance ou l’adolescence, a galvanisé le compter sur soi et généré, par compensation, le souci de revêtir à l’échelle collective des figures universelles de pères et de mères. Ainsi, la pauvreté, la pénurie, le manque d’affection, les difficiles conditions d’existence (comme celles vécues par Chaka Zoulou), voire le « néant », bien qu’éprouvants, peuvent concourir à la construction de l’individu dont ils vivifient et fortifient l’exploitation des potentiels à travers le compter sur soi et le respect de soi.

De ce qui précède, il découle que même le self-made man ne peut se prévaloir de tout devoir exclusivement à lui-même, la pénurie la plus extrême, même et surtout provoquée, pouvant contribuer à la construction de soi par le biais d’un compter sur soi renforcé. De même, on se rend compte que la seule vraie grâce est celle émanant du Seigneur. Se prendre pour l’exclusif déterminant d’un évènement relève de la prétention, sa survenue pouvant relever d’une origine autre que l’auteur supposé. Ainsi, avoir l’approche multifactorielle de tout ce qui nous entoure, comme c’est le cas en médecine, éveille notre sagesse en aiguisant notre lucidité et notre humilité.

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