Réussir : il faut y croire, s’y atteler et s’y accrocher

Au rang des préoccupations existentielles inoxydables depuis la nuit des temps, figure en bonne place celle en lien avec le succès, le mieux-être, la réussite, l’épanouissement, le développement personnel, et le bonheur. Ces concepts, presque indissociables l’un de l’autre, connaissent une variabilité dans le temps et dans l’espace, qui n’a d’égale que celle portant sur leur perception d’une personne à l’autre. De même, la constante évocation de ces concepts n’a d’égale que l’extrême difficulté à leur affecter un contenu, une définition, et une évaluation qualitative et quantitative. En même temps, les facteurs étiologiques y concourant, orientés par une vision, aussi intriqués qu’imbriqués, sont multiples : respect de soi, ténacité, détermination, dévouement, exigence envers soi, aptitude à se relever pour rebondir, apprendre de ses échecs, etc. Le bonheur qui en constitue la forme achevée et auquel aspire tout être humain est un idéal, non de raison, mais de l’imagination (Kant). Qu’il relève d’une quête individuelle ou collective, qu’il vise la satisfaction de tous les désirs ou leur extinction (Nirvâna), le bonheur alimente le cours de l’histoire, le rêve des artistes, l’inspiration des scientifiques, et l’ambition des gouvernants (Cobast). Le souci d’une approche holistique, ne limitant pas la finalité aux moyens y afférents, a généré dans les années 70 chez les Bhoutanais, le concept de bonheur national brut, notion couvrant neuf grands domaines : bien-être psychologique, santé, utilisation du temps, éducation, niveau de vie, diversité écologique et résilience, diversité culturelle et résilience, bonne gouvernance, vitalité de la communauté. Bien que multiple dans sa genèse, dans son expression, dans ses répercussions et dans sa perception, la réussite et les éléments qu’elle véhicule semblent réunir des données souvent retrouvées chez ceux dont elle a marqué la vie à travers l’histoire et la géographie.

Parmi les facteurs concourant à la réussite, figure en bonne place le fait de croire en soi, à l’origine de la détermination et de la ténacité que sous-tend une vision. Croire en soi signifie avant tout avoir conscience de son humanité et de la grâce divine y afférente, avec la certitude qu’on peut tout obtenir avec un talent même ordinaire auquel on adjoint une persévérance extraordinaire (Thomas Foxwell Buxton). Il importe pour chacun de croire à son unicité et à sa spécificité, d’avoir conscience des deux versants de cette caractéristique essentielle du vivant qu’est la variabilité : la variabilité inter-individuelle et la variabilité intra-individuelle. Il n’existe pas deux êtres rigoureusement identiques, et chaque être est différent de lui-même d’un instant à l’autre. Est impérative la démarche consistant à dénicher et à mettre en œuvre ses talents, à convertir ceux-ci en qualités tutoyant les vertus, afin d’augmenter son taux d’utilité sociale (Rousseau). Cet impératif est valable pour tous, à l’exception de ceux des humains, heureusement rares, affligés d’une tare, affectant le système nerveux avant la naissance ou au bas-âge.

La mission première des parents et des enseignants consiste à cultiver chez l’enfant et l’élève la confiance en soi, la conscience en son humanité, la certitude d’être né sous une belle étoile, socle de la réceptivité à tout apprentissage. Tenir à l’enfant des propos dégradant pouvant éroder la confiance qu’il a en lui, relève d’un péché capital d’un point de vue pédagogique et éducationnel. L’amener à croire au potentiel dont il est nanti et à sa capacité de rebondir, notamment en cas d’échec, permet de l’aider à tirer les leçons de toutes les expériences vécues, et à élargir le champ du possible et de l’accessible. Tous les gisements du savoir et de la pensée doivent être explorés et exploités, aussi bien ceux relevant du cognitif que ceux relevant des aptitudes et de l’émotion. « Tout le monde est un génie. Mais si vous jugez un poisson sur ses capacités à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu’il est stupide » (Einstein). Doit ainsi être portée à un juste rang l’activité manuelle, socle d’un enseignement professionnel préparant le futur travailleur à l’exercice intelligent de son métier, et relevant, en valeur humaine comme en efficacité, les labeurs de l’atelier ou de l’usine. (Jean Rostand). Le plus déterminant des facteurs conduisant à la réussite scolaire consiste pour l’enseignant à faire aimer sa matière par l’élève. Celui-ci ne va pas se contenter d’apprendre (pour répondre aux exigences des évaluations), mais ira plus loin en s’instruisant (ouvrant la voie à l’acquisition de la culture).

De la conscience en son unicité résultent le respect de soi, le sens de l’honneur, le goût de l’autonomie et de l’indépendance, le dévouement, le souci de lever le front pour éventuellement laver l’affront, le goût de l’effort, et la tendance à ne compter que sur soi. On parvient ainsi à rendre possible ce qui n’était même pas envisageable, par l’exploitation maximale de ses potentialités. On parvient à donner son plein sens à l’aide, devant être vécue et perçue comme affectée d’une constance, son caractère provisoire. On s’ouvre constamment à l’apprentissage, en aiguisant sa réceptivité à tout. On va ainsi à la découverte des vertus de l’échec, le seul à avoir tout réussi sans le moindre essai étant le Seigneur. On parvient à tirer des leçons de toutes les occasions et de tous les événements, notamment des plus malheureux, tout étant à considérer comme école dans la société (Albert Jacquard). De même que compter avant tout sur l’héritage matériel légué par les parents est un aveu d’échec, de même le compter sur soi, hissé au rang de religion, a été la sève nourricière de parcours d’exception, notamment des orphelins, très fortement représentés dans la classe dirigeante du monde (César, Cléopâtre, Ramsès II, Louis XIV, Napoléon, Washington, Marx, Lénine, Staline, Roosevelt, Poutine, Mandela, Barack Obama). Un rapprochement peut être fait avec le parcours de nombreux grands hommes issus de parents démunis : la pauvreté matérielle des ascendants, convertie en richesse chez les descendants, a alimenté une lutte féroce ayant abouti à un parcours d’exception : tel est le cas de nombreux cadres africains dont le faible revenu des parents ne laissait pas présager de leur brillant parcours. L’ascèse et la sobriété ont toujours été associées à l’élévation de l’esprit dans les spiritualités et les Saintes Écritures, et la pesanteur gastrique arrimée au phénomène inverse. Un environnement hostile, fait notamment de l’aridité du climat, a forgé l’endurance et galvanisé l’ardeur au travail des peuples, tandis que l’extrême richesse du sol et du sous-sol a parfois généré ou renforcé la tendance au moindre effort.

L’histoire de l’humanité est truffée d’exemples de parcours exemplaires, résultant d’une ténacité à toute épreuve et d’une détermination sans faille. La légende nous apprend ainsi que Soundiata Kéita, fondateur de l’empire du Mali au XIIIème siècle, fut, dès l’enfance, frappé d’une difformité ayant entravé la marche. Celle-ci n’a été rendue possible que par le port d’attelles en fer couplé à un entraînement douloureux. La marée montante de l’éloquence a toujours été un atout pour convaincre l’auditoire, notamment en politique. Démosthène (384-322 avant JC) en avait pris conscience. Avec ténacité et détermination, il transforma une infériorité en supériorité et un défaut en talent, en venant à bout de son handicap fait d’un bégaiement. Il s’entraînait en récitant des tirades entières avec de petits cailloux dans la bouche. Voulant fortifier sa poitrine et sa voix, il s’imposa même de déclamer de longs morceaux en gravissant des côtes à la course. Par ces exercices, il se hissa au zénith de l’éloquence et au sommet de la prose, et devint ainsi l’un des plus grands orateurs de la Grèce antique. Le refus d’extension et l’abolition de l’esclavage font souvent oublier un autre fait marquant de la biographie d’Abraham Lincoln. Ce fait a trait à la ténacité, au refus de renoncement et à la détermination dont fit il preuve avant de devenir à 60 ans le 16ième président des Etats-Unis : faillite à 31 et 34 ans, échec aux législatives à 32 ans, deuil de celle qu’il aimait à 35 ans, dépression à 36 ans, échec aux élections locales à 38 ans, aux élections du Congrès à 43, 46 et 48 ans, et aux élections du Sénat à 53 et 58 ans.

Il importe d’avoir à l’esprit que se hisser au sommet est souvent moins exigeant et moins contraignant que s’y maintenir, en raison de la constance y afférente, excluant le seul fait du hasard. En témoignent les parcours de Messi et de Ronaldo, respectivement septuple et quintuple ballon d’or. Il en est de même de Federer, de Nadal et de Djokovic, de Mozart, de Beethoven et de Franco (le musicien congolais), de Victor Hugo, d’Einstein et d’Aimé Césaire. Tous ces personnages, véritables locomotives de leurs domaines respectifs, sont des bourreaux de travail, abstraction faite des talents et des aptitudes particuliers dont ils pourraient se prévaloir. Voilà pourquoi ils sont parvenus à s’inscrire dans la durée et à mener une course plus souvent de fond que de vitesse, sans jamais se démarquer de l’objectif qu’ils se sont assignés.

Mais réussir, émerger, devenir un trans-classe pour avoir gravi l’échelle sociale et avoir accédé à une classe supérieure, n’est jamais exempt de revers. La posture ainsi acquise peut être source de rejet, de haine, d’envie et de jalousie, en provenance tant de la classe à laquelle on a accédé que de celle dont on s’est départi, phénomène remarquablement décrit par Stendhal : « La société étant divisée par tranches, comme un bambou, la grande affaire d’un homme est de monter dans la classe supérieure à la sienne et tout l’effort de cette classe est de l’empêcher de monter. » Cette raison explique que l’éventail d’amis se rétrécit au fur et à mesure que s’effectue l’ascension sociale. De même, d’un point de vue professionnel, les affinités s’étiolent au fil de la carrière, obéissant à cette métaphore de Marc Bloch : amis entre lieutenants, camarades entre capitaines, collègues entre commandants, rivaux entre colonels, et ennemis entre généraux.

Les effets pervers satellites de la réussite peuvent s’observer dans l’entourage immédiat, les liens biologiques résistant peu aux grands écarts socio-économiques. Ces effets sont vivaces dans les sociétés où domine l’approche communautariste, avec une primauté des lois du partage et de la solidarité sur celle de la productivité individuelle. L’émergeant, supposé exempt de tout mérite personnel, plus souvent désiré qu’aimé, est ainsi perçu comme le canal par lequel transitent la fortune et les biens de tous. Le compter sur autrui prime ainsi sur le compter sur soi, l’exigence envers autrui sur celle envers soi-même. Ce cas de figure est très présent en Afrique sub-saharienne où le trans-classe, sollicité de toute part, est voué aux gémonies, l’aide par lui apportée étant constamment en-deçà des espérances. L’histoire de l’humanité est truffée de nombreux exemples illustrant le revers satellite d’une certaine réussite. Osiris fut découpé en rondelles par son frère jaloux Seth, avant d’être recollé par sa femme Isis, qui en fit la première momie et le premier dieu ressuscité de l’histoire. Les frères Caïn et Abel, respectivement cultivateur et berger, nés d’Adam et Eve, ont accompli des offrandes à Dieu. Celui-ci préféra le sacrifice du second à celui du premier. Caïn, jaloux, assassina Abel (Bible, Genèse 4 : 3-8). Une histoire similaire est rapportée dans la mythologie polynésienne : Tribo, un des fils de Tangaroa, le Dieu des pêcheurs, tue par jalousie son frère Yaka-Ako-Ouli. Deux exemples de rivalité fraternelle tirés de la Bible sont aussi à souligner : le premier concerne Jacob qui a réussi à obtenir le droit d’aînesse de son frère Ésaü en l’échangeant contre un plat de lentilles (Bible, Genèse 25 : 29-34) ; le second est celui de Joseph (fils de Jacob) vendu par ses frères aînés à des marchands Ismaélites, car il était le favori de leur père (Bible, Genèse 37:25-28). Les bienfaits de l’ascension sociale tout comme ses déconvenues doivent constituer la sève nourricière de l’effort à consentir pour la consolider et éviter de se satisfaire de ses acquis, afin de continuer à se battre pour davantage grandir. L’effort doit être constant, de même que la détermination, le tout constamment entretenu par un courage, intention de l’instant en instance (Comte-Sponville).

Des caractéristiques communes sont présentes chez des gens aux parcours exemplaires, quels que soient le contenu et la définition attribués à la réussite. Ces locomotives de l’humanité, même nanties d’aptitudes et de dispositions particulières, sont animées d’un goût immodéré de l’effort et d’une détermination à toute épreuve, leur permettant de faire face aux railleries de leur classe d’origine et à l’hostilité de la classe à laquelle ils ont accédé. Ces deux groupes de facteurs conjugués ont souvent servi de sève nourricière leur ayant permis l’acquisition puis le maintien de leur couronne, laissant ainsi une trace indélébile dans l’histoire de l’humanité.

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