Tout savants ou sachants qu’ils sont, ils sont ce que nous sommes, et peuvent se tromper comme les autres hommes

L’Homme est un animal de la classe des mammifères, de l’ordre des primates, de la famille des hominiens, du genre homo, et de l’espèce sapiens. Son pouvoir à travers la maîtrise de son environnement s’est accru au fil du temps, parallèlement à l’augmentation de la masse de son cerveau, aujourd’hui d’environ 1200 grammes chez l’adulte. Le maître cerveau perché sur son homme l’a hissé au sommet de la pyramide des créatures, par le biais de ses fonctions, indissociables de sa posture et de son statut dans le cosmos, et arrimées à la grâce dont il est l’objet, tel que relaté dans les Saintes Écritures. Le plein et judicieux emploi du cerveau, corrélé au taux d’utilité sociale, est magnifié et relève d’un devoir, tandis que l’inverse équivaut à un péché. Son exploitation massive est souvent observée chez des femmes et des hommes d’exception, constituant la locomotive à la tête du train que forme l’humanité. Les différentes formes d’intelligence qui y sont logées expliquent le caractère parcellaire de celle dont chacun de nous est nanti. Ceci est une évidence qui n’a d’égale que notre faculté à l’oublier ou à l’ignorer, mais que fort heureusement rappellent les limites et les erreurs observables chez des gens d’exception. Ces limites et ces erreurs ont le grand mérite de s’adosser à notre condition humaine à laquelle nul n’échappe, contribuant à l’ancrage en nous de cette vertu essentielle qu’est l’humilité.

Les limites du quotient intellectuel établi en 1912 par William Stern sont bien connues, de même que les différentes formes d’intelligence dont une dizaine sont aujourd’hui identifiées. En outre, on se rend bien compte des multiples secrets de la docimologie relatifs à la complexité d’évaluer, donc de juger. Une pénalité peut sanctionner une réponse en réalité exacte, et une bonne note accordée à une réponse dont l’inexactitude a échappé au correcteur ou au jury. De même, les parcours scolaires et universitaires sont plus souvent sinusoïdaux que linéaires. Claude Bernard connut un parcours sans éclat, avant ses travaux sur la fonction glycogénique du foie et le milieu intérieur qui lui ont conféré la paternité de la physiologie. Le célèbre savant Einstein ne fut pas un brillant élève, incapable qu’il était de se conformer au moule de l’éducation traditionnelle, opposé qu’il était d’apprendre les concepts par cœur plutôt que de chercher à en décrypter le sens, convaincu qu’il était que l’erreur est source d’innovation. La même conviction anima Thomas Edison qui parvint à inventer l’ampoule électrique après des milliers de tentatives. Le brio des études médicales peut servir de socle au profil de bon soignant, sans en être une garantie absolue. De nombreuses formes d’intelligences peuvent se solder par un échec scolaire, parce que non prises en compte par l’évaluation en vigueur. Se trouvent ainsi corroborées l’extrême difficulté à porter un jugement et la prudence enseignée en la matière, aussi bien par la sagesse populaire que par les Saintes Écritures.

L’extrême complexité de la langue française est bien connue, en lien notamment avec son orthographe, objet d’un fétichisme et d’une vénération sans bornes, remontant au XIXème siècle. Deux types d’orthographe avaient cours entre le XVIème et le XVIIIème siècles : une professionnelle, complexe, réservée aux correcteurs d’imprimerie, et une privée et libre. L’État français décida au XIXème siècle que la première soit désormais enseignée à tous, sans aucune simplification. Du coup l’orthographe devint sacralisée, intouchable et figée, et sa non observance sanctionnée par des fautes, faisant d’elle un solide et redoutable motif d’échec scolaire (François de Closets). Témoins de la complexité de l’orthographe sont les 13 façons d’écrire le son « o » : o, ot, ots, os, ocs, au, aux, aud, auds, eau, eaux, ho, ö. Les voyelles e, a, u, servent ainsi à écrire un mot dont la prononciation se résume à une autre voyelle, le o, qui n’y figure pas, comme dans le mot eau. Échographe, photographe, phonographe et orthographe, comportent tous le suffixe graphe. Les trois premiers sont du genre masculin, et orthographe du genre féminin. L’échographe et le phonographe désignent l’appareil, le photographe l’utilisateur, et l’orthographe le domaine !

La non maîtrise de l’orthographe et les fautes qui en découlent, loin d’être l’apanage des hommes ordinaires, ont été observées même chez de grands auteurs, figurant en bonne place au panthéon des personnes d’exception. Gustave Flaubert à 8 ans écrivit : « Je suis dévoré d’impatience de voir le meilleur de mes amis celui avec lequel je serait toujours amis nous nous aimerons, ami qui sera toujours dans mon cœur. Oui ami depuis la naisance jusqua la mort ». Jean Paul Sartre, admis au Lycée Montaigne, fut rétrogradé dès sa première dictée en classe de dixième : « Le lapen çovache ème le ten » (le lapin sauvage aime le thym). De la plume de Marcel Proust à 7 ans, émane : « Mon cher grand-père pardonne moi de mon péché car j’ai moin mangé qu’a l’ordinaire j’ai pleuré pendant un cardeur aprè cela j’était en senglot ». Le ph dont est affublé nénuphar, initialement nénufar depuis le XIIIème siècle, résulte d’une erreur commise en 1935 par l’Académie française, qui le croyait à tort d’étymologie grecque. Le mot vient en fait du sanskrit, langue classique de la civilisation brahmanique de l’Inde, via l’Arabe.

La prédiction est un des champs où de grands esprits, à travers leurs erreurs étayées par de cinglants démentis, ont rappelé leur stricte dimension humaine. En 1932, Albert Einstein affirmait qu’il n’y a pas la moindre indication que nous puissions un jour utiliser l’énergie nucléaire. Pour Louis-Jean, inventeur du cinématographe, « Le cinéma parlant est une invention très intéressante, mais je doute qu’elle reste à la mode bien longtemps ». Paul Krugman émit en 1998 un sombre pronostic à l’Internet : « La croissance d’Internet va ralentir drastiquement, car la plupart des gens n’ont rien à se dire ! D’ici 2005 environ, il deviendra clair que l’impact d’Internet sur l’économie n’est pas plus grand que celui du fax». Pour Lee DeForest, pionnier des radiocommunications, « Bien que la télévision soit possible théoriquement et techniquement, elle est pour moi impossible commercialement et financièrement » (1926). Pour Martin Cooper, inventeur du premier téléphone mobile, « La téléphonie mobile ne remplacera jamais la téléphonie fixe » (1981). Robert Metcalfe, co-inventeur d’Ethernet, émit en 1995 un avis comparable : « Je prédis qu’Internet sera la grande nouveauté de 1995 et s’effondrera avec fracas en 1996 ».

Platon, Aristote, Ptolémée restent de grandes figures de la pensée et du savoir depuis des siècles. Il est cependant intéressant de se souvenir qu’ils ont défendu bec et ongle, la théorie géocentrique dont l’épopée dura des millénaires, avant son éviction par celle héliocentrique par Copernic puis Galilée. De même, il est permis d’imaginer que nos futurs descendants seront amusés par des théories et des concepts régissant notre époque. L’histoire de la médecine est ainsi truffée de traitements préconisés par de grands esprits et démentis plus tard par de nouvelles approches, corroborant le principe de l’impermanence.

Rappeler le parcours des plus grands, fait de hauts et de bas, induit en nous une analyse exempte d’enthousiasme et pleine de lucidité, tout en contribuant à nous décomplexer. Sans minimiser l’apport des uns et des autres à l’humanité, cette approche nous rapproche d’eux en rappelant leur condition strictement humaine. Elle témoigne du rôle de la ténacité et de la répétition dans la maturation et le développement personnel. Le modèle ainsi constitué par chacune de ces personnes d’exception élargit notre perception de la sphère du possible, vivifie en nous l’exploitation maximale de notre potentiel, nourrit en nous la sève de l’humilité, nous incite à donner constamment la meilleure version de nous-mêmes, soulevés que nous sommes par le souffle exaltant de la perfectibilité de l’espèce qui est la nôtre.

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