Que doit-on attendre d’un agrégé en médecine en Afrique sub-saharienne ?

Le Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES), dont la convention portant statut et organisation fut signée le 26 avril 1972, régit la carrière des universitaires en Afrique noire francophone. Modèle presque parfait d’intégration, le CAMES est à la base de l’harmonisation voire de l’uniformisation des différents parcours et grades universitaires, les soustrayant de l’emprise de contingences autres qu’académiques. L’impact de celles-ci se trouve ainsi atténuée et l’orthodoxie universitaire préservée voire raffermie.

En médecine comme ailleurs, l’agrégation est un grade avant tout universitaire, dont la gestion relève des universités, donc de l’enseignement supérieur. L’ouverture de postes est avant tout dictée par les besoins pédagogiques. L’arrimage au secteur de la santé est balisé par la triade de tâches intriquées et imbriquées dévolues à l’agrégé : les soins, l’enseignement, et la recherche. Voilà pourquoi le ministère de la santé doit prendre des dispositions en phase avec celles de son homologue de l’enseignement supérieur, en affectant l’agrégé dans une formation sanitaire relevant de la même aire géographique que son université d’appartenance. Les conditions, la préparation  et les impératifs inhérents à ce concours n’ont d’égal que les multiples attentes des institutions et des populations. Ces exigences font appel à la fois au savoir, au savoir-faire, au savoir être et au savoir devenir, le tout parfaitement arrimé au contexte.

Les pays africains sont relativement jeunes, en pleine construction. L’ancrage des institutions est en cours, et de nombreux chantiers sont à la phase de débroussaillage. C’est dire l’importance de l’investissement personnel, du patriotisme et du sacrifice attendu de l’élite, toutes catégories et tous domaines confondus. Est ainsi indispensable une bonne dose de ténacité, valeur essentielle, et de courage, intention de l’instant en instance (André Comte de Sponville).  La prise en compte du contexte est capitale, notamment des données relevant de l’histoire, de la géographie, de la culture, de l’anthropologie, du niveau socio-économique, de l’administration, et de l’état des secteurs sociaux (santé, éducation, eau, électricité), par le biais d’une démarche faisant appel à l’adaptabilité, à la souplesse, à la créativité, et à l’imagination. Le niveau de l’agrégé fait de lui une source de propositions pouvant éclairer les décideurs, en dehors de tout esprit partisan. Il importe de créer à l’agrégé un cadre lui permettant de s’éclater, auquel il va consacrer toute son énergie mentale, et faire de tout obstacle une opportunité, dans un souci permanent d’utilité et de service publiques. C’est dire l’importance de la tenue de l’agrégé dont la culture générale, le professionnalisme et l’intégrité doivent faire de lui un modèle.

L’agrégé est appelé, d’une manière ou d’une autre, à diriger, notamment un service hospitalier ou une institution universitaire, et à conduire une équipe. Or la corrélation entre l’agrégation et l’aptitude à diriger n’est pas systématique. Revisiter les neuf tâches incombant au leader et répertoriés par Gardner dans son ouvrage, « L’art de diriger », peut être utile : concevoir des objectifs, affirmer et célébrer des valeurs, motiver, gérer, réaliser l’unité, expliquer, symboliser l’identité collective et la continuité, représenter le groupe, rénover. Tout peut s’apprendre, à la seule condition de ne pas céder à la résignation, par la volonté et la détermination créant une perméabilité méningée propice à l’acquisition de nouvelles aptitudes.

La mise en œuvre des fondamentaux est indispensable, et conditionne la bonne marche du service : veiller à l’effectivité du ménage et de l’hygiène (un centre de soins doit être un modèle en la matière), à l’organisation des consultations, des visites et de l’encadrement des apprenants ; veiller à la bonne gestion des ressources mises à disposition, impératif d’autant plus nécessaire que celles-ci sont extrêmement limitées ; avoir des relations fonctionnelles avec l’administration en évitant toute césure avec celle-ci à travers une implication directe et contributive dans la vie de l’institution ; communiquer constamment aux apprenants le bien-fondé de chacun des actes allant dans ces directions ; aider à la création et/ou à l’élaboration du projet personnel de chacun des membres de l’équipe. Il convient, par des actes nourris des vertus de l’imagination, de rassurer tous les membres de l’équipe, la vaste étendue du chantier et la quasi-virginité du terrain, toutes spécialités confondues, garantissant à chacun la possibilité de trouver sans encombre sa voie.

Le devoir de redevabilité incombe à tous. Ainsi, l’agrégé doit s’astreindre aux principes y afférents, notamment à celui du compte-rendu à ses hiérarchies universitaire et hospitalière. L’ordre de mission signé de la hiérarchie universitaire en vue d’un déplacement à l’étranger doit être connu de celle hospitalière et inversement. Il en est de même de l’agenda des activités universitaires prévues durant l’année, dont le programme doit être transmis aux autorités hospitalières. En agissant ainsi, l’agrégé concourt à l’ancrage de l’orthodoxie et participe de ce fait à la consolidation de l’État de droit.

L’humilité est nécessaire à l’accomplissement de ses tâches par l’agrégé.  Il faut avoir à l’esprit que l’université est infiniment plus étroite que l’univers dont elle n’est qu’une infinitésimale composante, que la médecine n’est qu’un petit paragraphe de la grande encyclopédie de la santé. L’humilité doit servir de socle à un apprentissage permanent et à une remise en cause sans fin. De même, l’agrégation ne doit pas être un obstacle au comblement des lacunes antérieures à son obtention. Elle doit se dissocier d’une photographie instantanée, d’une fleur dont le rayonnement se cantonne à la période du concours au terme de laquelle elle se fane.  Elle doit, avec la formule « Je ne sais pas » exprimée sans ambages, constituer un duo et non un duel, conduisant son détenteur à se constituer en éternel apprenant, en farouche adepte des choses de l’esprit, pour qui rien n’est définitivement acquis. Ceci est indissociable d’une réelle adhésion à la civilisation de l’écriture que traduit le goût de la lecture.

L’agrégation marque l’ancrage de son détenteur dans les deuxième et troisième des cinq étapes de la vie professionnelle : « apprendre à faire, faire, montrer comment faire, faire faire, et laisser faire ». Faire et montrer comment faire résument l’exercice et la transmission tant théorique que pratique de l’art médical. Le recours à des métaphores, à des analogies, à des aphorismes et à des citations rend le cours agréable et en assure la fluidité. L’éloquence et la culture générale contribuent à l’intelligibilité du cours et nourrissent l’attention soutenue de l’auditoire. Elles sont une arme de construction massive permettant la prise en compte des méandres de la communication telles qu’établies par Bernard Werber : « Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous voulez entendre, ce que vous entendez, ce que vous croyez en comprendre, ce que vous voulez comprendre, et ce que vous comprenez, il y a au moins neuf possibilités de ne pas se comprendre. »

L’enseignement repose sur le constant souci de partage et de transmission de connaissances, avec la préoccupation de donner plus que ce que l’on aura reçu et de s’enrichir de ce que l’on donne. Une dose d’altruisme est ainsi impérative, conduisant à maudire celui qui croit augmenter son pouvoir par le refus de partager son savoir. L’agrégé en enseignant averti, doit susciter des vocations, et conférer à son détenteur une attractivité aimantée, concourant à la formation de ressources humaines de qualité, issues de toutes les communautés et de tous les milieux (le concept de parents professionnels d’Alain Touraine prend ici tout son sens). La valeur et le taux d’utilité sociale de l’agrégé se mesurent au nombre d’agents de qualité par lui formés. Une preuve patente d’échec absolu, avec l’égoïsme pour sève nourricière, est fournie par une carrière menée à terme sans successeur, sans héritier digne de ce nom, apte à assurer la relève. A contrario, avoir un élève qui surpasse le maître est à considérer comme la récompense la plus éclatante et la plus noble, et le vœu le plus ardent de celui-ci (Léonard de Vinci, Nikos Kazantzakis). Les responsables d’université doivent rappeler à l’ordre tout enseignant préférant un exploit solitaire à une réussite solidaire.

La recherche a pour sèves nourricières la remise en cause, la curiosité, l’observation attentive du contexte et des malades, l’émerveillement face à l’inconnu, le coup de massue au conflit de générations, le bouillonnement des idées, l’aptitude à faire face à la complexité du présent et le refus de se réfugier dans un passé fantasmé. Celui-ci est souvent attesté par la mise en avant des diplômes et des titres obtenus, objet d’une liste encombrant parfois une bonne partie de l’ordonnance !

La carrière hospitalo-universitaire est ainsi située au carrefour de deux sacerdoces, aussi exigeant l’un que l’autre et relevant tous les deux des secteurs sociaux dont la vitalité sert de socle à l’équité et à la paix sociale : l’enseignement et la santé. Leurs exigences sont encore plus marquées en Afrique sub-saharienne en raison de l’importance de la charge pathologique, du caractère limité des ressources et du bas niveau de développement. Il en résulte un fort niveau de sollicitation envers les rares ressources humaines de qualité disponibles, au rang desquelles figurent les agrégés, sur un chantier africain constitué de pays jeunes en phase de construction institutionnelle, dans un monde fait d’un Occident dominateur aux conditions salariales très attractives, et dans une société en quête de repères où le goût de l’effort est de moins en moins hissé au rang de vertu. S’impose ainsi un travail de pionniers qui, quoiqu’extrêmement difficile, s’arrime à un taux d’utilité sociale élevé, à l’origine d’une satisfaction inégalée. S’impose également la nécessité de penser et d’agir non pas en agent de la médecine, mais plutôt en agent plus noble, plus englobant et plus impactant de santé.

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