La maladie, sève nourricière et facteur révélateur d’intentions inavouées

La maladie, souvent perçue comme l’antichambre de la mort, taraude autant l’esprit du malade que celui de son entourage. Elle met en éveil et en exergue la plus constante des peurs qui nous abritent, celle en lien avec la mort. A travers le malade, chaque membre de son entourage prend conscience de sa propre inévitable fin. Elle suscite une compassion qui n’est pas exempte d’égoïsme. Elle génère plus souvent de la solidarité que de la générosité, et ce, même dans la société africaine où la vie repose sur un solide socle communautariste et sur le caractère sacré des liens biologiques. Ces données sont à prendre en compte dans la gestion du malade par le médecin qui doit éviter les pièges tendus par l’évocation de bonnes intentions.

La démarche du médecin se solde par un diagnostic et un traitement dont l’intérêt réside dans la mise en œuvre effective, et la finalité dans le recouvrement de la santé. Ce principe justifie les ressources affectées aux soins par les ménages, et la couverture maladie relevant de l’État ou d’autres entités. La prise en charge par le ménage a, dans toutes les sociétés, précédé celle par l’État, et reposé initialement sur la solidarité entre les membres de la communauté. Voilà pourquoi, dans le contexte africain, il importe que le médecin identifie à travers l’interrogatoire de son patient, ceux de l’entourage nantis d’un revenu, particulièrement ceux perméables aux principes de générosité et de solidarité. Les échanges avec cette partie de l’entourage visent à expliquer le bien-fondé de tel examen, le bénéfice attendu de tel traitement, sans trahir le secret médical, afin d’obtenir leur adhésion puis leur appui dans un souci d’efficacité. Cette activité incombe au médecin dont chacun des actes doit viser exclusivement l’intérêt du patient.

La maladie et la potentielle mort qui pourrait en résulter nous font entrevoir les nôtres propres et ce d’autant que le malade est plus proche de nous. Les sentiments qu’elles suscitent sont nourris plus souvent par l’égoïsme caractéristique de l’être humain que par la compassion en faveur d‘autrui. De même, les funérailles sont plus alimentées par le souci des survivants de se valoriser et de polir leur image sociale, que par une véritable compassion envers le défunt. Des ressources sont ainsi réservées par anticipation aux funérailles aux dépens de celles affectées aux soins par des membres de l’entourage, soucieux d’organiser des obsèques « dignes » destinées en réalité à redorer leur blason et à alimenter leur égo. Les larmes peuvent être le reflet des services désormais non rendus, du fait de la disparition d’un proche nanti et généreux. A l’hôpital, le voyeurisme et les ragots qui en découlent sont d’autant plus marqués que le patient appartient à une classe sociale élevée, comme si leurs auteurs sont animés d’un souci inavoué de revanche, ayant à leur disposition la preuve de la vulnérabilité de celui plus haut situé sur l’échelle sociale et dont on observe avec une quasi-jouissance la déchéance ou l’agonie.

Les visites dont est l’objet le patient peuvent résulter au pire d’un exercice de voyeurisme, au mieux d’une manifestation de solidarité et d’entraide, à travers des ressources financières et matérielles, mises à sa disposition par ses connaissances compatissantes. Ces ressources, rarement objet d’une comptabilité rigoureuse, font souvent l’objet de détournements par des membres véreux de l’entourage du patient, supposés être à son chevet pour en prendre soin. Au rang de ces personnes véreuses peuvent figurer, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le (la) conjoint (e), des descendants et des collatéraux qui font de sa maladie une alléchante source de revenus. La maladie, lorsque d’emblée grave et conduisant à sentir la mort prochaine, est souvent l’occasion de calculs aussi égoïstes que mesquins, destinés à accéder aux biens matériels. On agit ainsi en amont du décès, en procédant à une amputation des biens, antérieure à leur partage aux ayant droits. Ceux-ci ne sont l’objet d’aucune préoccupation des auteurs de ces actes, aux propos faussement compatissants. Ceux des descendants sans revenus parce que souvent sans métier et fondant tout leur espoir sur l’héritage matériel, sont les plus prompts à se livrer à ce genre d’exercice. Ils peuvent aller jusqu’à s’opposer à la mobilisation de ressources, à partir des biens propres du patient, en vue de sa prise en charge. Il en est particulièrement ainsi de la fraction préférée des descendants, handicapés par le fait d’avoir toujours joui d’une attention particulière des parents, les ayant hissés au rang d’intouchables, imperméables au goût de l’effort et au sens de l’initiative pour se bâtir.

Les faits ci-dessus relatés, issus d’une pratique médicale de plus d’un quart de siècle, sont indépendantes de la religion, de l’ethnie et de la « région d’origine » du patient et de son entourage. Ils sont donc à prendre en compte par le médecin dans ses échanges avec l’entourage du patient, dans l’analyse à faire des propos des uns et des autres, et de la nature des informations à mettre à leur disposition. Ces constats sont vivaces et observables chez les malades atteints d’affections préoccupantes parce qu’invalidantes (accident vasculaire cérébral, cancers, coma, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, etc.). Les deux constances que sont la peur de la mort et l’égoïsme humain, fils conducteurs de la vie et du comportement de tout homme, ne doivent jamais être sous-estimés. Le bien-paraître et le faux semblant servent souvent de vernis et de sève nourricière à l’hypocrisie humaine qui est souvent sans limite, en dépit des vertus prônées par la morale, la spiritualité et les saintes écritures, et souvent mises en avant par des auteurs d’actes aux antipodes de l’humanité. Ici comme ailleurs, la connaissance et la bonne maîtrise des concepts n’en garantissent pas l’aptitude à leur mise en œuvre. L’exercice orthodoxe de l’art médical permet tous les jours à son auteur un meilleur décryptage de cette créature aussi magique que complexe qu’est l’être humain. Se trouve ainsi constamment renforcé l’alliage de la médecine et de la philosophie, apposées l’une à l’autre comme les deux cotylédons d’une même noix de cola !

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