La douleur (poème)
De l’existence tu rappelles la fragilité,
De l’esprit tu altères la perspicacité,
Du pathologique tu constitues un symbole,
Et de la souffrance l’inconditionnelle idole.
Soumise au moulage des cultures et de l’histoire,
Tu as alimenté tous les champs du savoir,
Et suscité le recours à des métaphores,
Caricature des épreuves de l’âme et du corps.
Tu es l’étendard du péché originel,
L’emblème de rédemption selon les Ecritures,
Que doit subir la meilleure créature,
En se gardant de tout choc émotionnel.
Au malaise généré par ta définition,
S’adjoint la diversité de ta perception.
A tes innombrables attributs subjectifs,
S’oppose ton difficile abord quantitatif.
Les médecins t’ont exploitée en pathologie,
Ton statut a préoccupé les philosophes,
Ton décodage nourrit la physiologie,
Et s’étend aux domaines qui lui sont limitrophes.
Quoique satellite d’instant de profond bonheur,
Telle la douleur ressentie lors de l’enfantement,
Tu ne fais que galvaniser tes détracteurs,
Car ne gravant que le souvenir du tourment.
Ton effet touche de l’être la partie intime,
Ton portrait est tributaire de nombreux facteurs
Qui reflètent aussi bien le moi de ta victime,
Que les croyances et les traditions en vigueur.
Le souci de décrypter ton mécanisme,
Opposa longtemps les matérialistes.
A ceux conquis par le spiritualisme,
Tous influencés par le courant empiriste.
De la maladie tu es l’imparfaite gravure,
De la sémiologie le déroutant pivot,
Des divinités le pourvoyeur de dévots,
Et de l’être l’artisan fidèle de torture.
A la lutte éternelle contre toi engagée,
Participe un arsenal de dispositifs,
Où se côtoient le scientifique et l’intuitif,
Formant un tandem visant à te dégager.
Sur le raisonnement médical plane ton pouvoir
Que des progrès ont en vain tenté d’écorner.
Sur la pensée pèse le vécu de tes victoires,
Sceau de ton arrogance que l’on rêve de cerner.
Symptôme tout aussi utile qu’inévitable,
Tu n’es cependant pas irrémédiable,
Du soignant tu exiges une démarche globale,
Préalable à une prise en charge totale.
Malheur à ceux privés de ta perception,
Malheur à ceux endormis par ta perfidie,
Malheur au corps tributaire de ta mélodie,
Malheur à l’esprit qu’inhibe ton appréhension.
C’est à défaut d’obtenir l’indolence parfaite
Que la médecine se résout à t’apprivoiser,
A l’aide d’une gamme par paliers utilisée,
Conçue dans l’optique de t’infliger des défaites.
Absente du tableau initial du cancer,
Tu en autorises la croissance tentaculaire.
Trop présente dans les maladies rhumatismales,
Tu en annonces souvent la phase inaugurale.
De sa peine ta victime heureusement se console,
Grâce à des médications connues de longue date,
Tels le jus de peuplier et les feuilles de saule,
Base des prescriptions antalgiques d’Hippocrate.
Débordant nettement les contours du somatique,
Tu imprimes au mal un profil péjoratif,
En envahissant l’univers de l’affectif,
Au grand mépris de la dualité classique.
Quoique dans le temps et dans l’espace décriée,
Tu remémores notre vulnérabilité,
Et renvoies sans cesse aux questions fondamentales,
Qui mettent en érection nos facultés mentales.
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