« Il n’y a pas de médecine sans confiance, de confiance sans confidence, de confidence sans secret » (Louis Portes)

La consultation médicale se traduit par une rencontre, un échange, un dialogue, entre un soignant et un souffrant. Le premier est détenteur d’un art susceptible de soulager ou de venir à bout de la plainte, réelle ou potentielle, responsable du malaise ou du mal-être du second. Elle commence par un interrogatoire au cours duquel le soignant collecte les différentes composantes de la plainte, à travers un minutieux décryptage de celle-ci. Ce décryptage va affecter non seulement le champ de la plainte mais aussi celui plus vaste de la personne du patient, dans ses versants organique et psychique, dans le cadre d’une approche holistique. Ainsi se trouve dissocié le fait de traiter une maladie de celui plus large consistant à soigner un malade. A l’interrogatoire fait suite l’examen du malade dévêtu, basé sur le recours du soignant à ses organes de sens (regarder, toucher, écouter, sentir, gouter). Grâce à la vue se trouvent par exemple détectées les déformations et les anomalies de couleur ; par le toucher sont notamment mises en évidence les anomalies de consistance, de forme ou de volume des organes ; l’olfaction apprécie l’odeur de secrétions surtout anormales ; l’ouïe évalue la normalité de bruits physiologiques ou l’existence de bruits anormaux (les bruits du cœur ont longtemps été écoutés par l’auscultation immédiate, antérieure au stéthoscope, le médecin posant son oreille sur la poitrine du malade) ; le goût a longtemps permis l’appréciation de la saveur des liquides anormaux par les médecins antiques et médiévaux. Chaque élément de l’interrogatoire et chaque donnée de l’examen sont affectés d’une valeur d’orientation diagnostique. L’ensemble de la démarche aboutit à des hypothèses orientant vers des examens biologiques ou d’imagerie susceptibles de les étayer. Après le diagnostic, vient la phase de traitement dont les composantes sont l’objet d’explications du soignant au profit du souffrant. Le pronostic est également l’objet d’explications, la préoccupation essentielle du malade étant de savoir l’impact de la maladie sur la qualité ou la longueur de sa vie. L’ensemble du processus est indissociable de la nature des rapports soignant-souffrant, étroitement liée au degré de la confiance dont jouit le premier auprès du second.

La confiance est au cœur de la relation soignant-souffrant. Elle consiste en une attitude, un état psychologique, survenant dans un contexte d’incertitude, de risque et de vulnérabilité (Bizouarn). Toute la démarche du soignant pivote autour de la confiance à lui accordée par le patient, renvoyant à l’idée qu’on peut se confier à quelqu’un ou à quelque chose. Le terme vient du latin classique confidentia, dérivé de confidere (confier). Confier signifie qu’on remet quelque chose de précieux à quelqu’un, en se fiant à lui et en s’abandonnant ainsi à sa bienveillance et à sa bonne foi. Le mot entretient des liens étroits avec la confiance, la foi, la fidélité, la confidence, le crédit et la croyance (Marzano). La foi a trait à un concept auquel l’esprit adhère fermement, de façon aussi forte que celle qui constitue la certitude, sans être justifié par une démonstration. La confiance est un état instable, situé à mi-chemin entre la foi et le savoir. La foi institue un rapport avec Dieu, et la confiance une relation avec autrui. La confiance crée une attente normative, analogue à l’effet attendu de la prière (Gloria Origgi). La croyance, fait ou action de croire, d’attacher une valeur de vérité à un fait ou à un énoncé, dérive du latin credo (« je crois ») et du vieux-français créance. Il s’agit d’un état mental fait de plusieurs degrés, allant de la simple opinion à la science en passant par la foi : préjugé ou illusion en cas de garantie objective très faible ; supposition ou conjecture si la croyance est susceptible d’être vérifiée ; conviction voire foi lorsque la croyance repose sur un fort sentiment subjectif ; certitude en cas de croyance démontrée et unanimement partagée. La trahison est l’incarnation contraire de la confiance, et ne pas trahir, c’est être fidèle. Un interlocuteur fidèle rassure et apaise l’esprit. La confidence réside dans la communication d’un secret ou d’un sentiment à quelqu’un. Elle peut revêtir la forme d’une confession faite à autrui. Garder le secret, notamment par le biais du silence, est bénéfique, et met à l’abri d’une éventuelle trahison. Le rôle protecteur de celui-ci est bien connu et souvent vanté, toutes cultures et toutes civilisations confondues, aussi bien dans la conduite de leurs recherches par les savants que celle des hommes par les gouvernants, aussi bien dans les affaires que dans la vie professionnelle, aussi bien dans la vie de ceux hissés au sommet de l’échelle sociale que dans celle des hommes et des femmes ordinaires. Immenses, infinis et inimaginables sont en effet les usages que pourrait faire un adversaire ou un ennemi de la connaissance d’un fait sensé relever du champ du secret. L’effet protecteur du silence a été magnifié par Charles de Gaulle qui l’assimile à la splendeur des forts et au refuge des faibles, à la pudeur des orgueilleux et à la fierté des humbles, et enfin à la prudence des sages et à l’esprit des sots.

Le malade confiant et détendu est dans la disposition d’esprit propice à la collecte des données de l’interrogatoire et de l’examen clinique. Il en est ainsi notamment des données portant sur des sujets tabous, de celles touchant à l’intimité, et de celles relatives à des maladies objet de stigmatisation : baisse des performances sexuelles (fréquent souci dans la seconde moitié de la vie, rarement évoqué d’emblée, parfois induit par des traitements dont elle réduit l’observance) ; traumatisme consécutif à une violence conjugale (dont la victime souvent féminine peut entourer l’origine de son mal d’un halo, parce que croulant sous le poids des contingences sociales) ; viol et inceste (objet d’omerta, la victime étant désireuse ou contrainte de préserver l’image de sa famille) ; choc ou dépression en lien avec la traversée d’un moment difficile ; maladies mentales objet de déni et de camouflage de la part de la famille, soucieuse de ne pas exhiber la vulnérabilité d’un des siens et par ricochet la sienne propre ; examen gynécologique que conditionne la position dédiée et nécessitant que la patiente soit décontractée et détendue. Le secret que génère la confiance est à préserver, même dans des circonstances où le malade est dans l’impossibilité d’exprimer sa volonté. Dans ces conditions, le médecin dans ses échanges avec la famille doit être à la fois prudent et vigilant, les liens biologiques les plus forts n’étant pas toujours exempts de haine, de rivalité, d’envie et d’égoïsme. Ces liens ne résistent pas aux grands écarts socio-économiques issus de l’appartenance des membres de la même famille à des classes sociales différentes. Cette donnée est à prendre en compte, notamment en Afrique sub-saharienne, où la réalité ne rime pas toujours avec les vertus de solidarité et de générosité prônées.

Le souffrant s’expose à une certaine vulnérabilité en portant à la connaissance du soignant des informations relevant du sceau du secret, au rang desquelles celles qu’il a de plus intime, sur les plan anatomique, familial, conjugal, social, relationnel et professionnel. Le souffrant accorde ainsi à son interlocuteur le bénéfice de la bonne foi, en faisant le pari qu’il sera digne de mériter cette confiance, en gardant les secrets à lui confiés et tout ce qu’il aura su par l’entremise de son art, bien qu’ignorant l’usage qu’il pourrait en faire. C’est en vertu de cette confiance que le manteau de soignant du médecin est doublé de la posture de confident. Le médecin de famille d’antan en détenait toute l’histoire et jouait le rôle de médiateur et de conciliateur en cas de besoin. La conception métaphysique de l’origine des maladies qui, pendant des millénaires, a partout dominé la pensée médicale et dont les vestiges sont encore vivaces, a galvanisé ce statut de confident conféré au médecin. Il en a été de même de l’effet de la magie dont la médecine fut un affluent, auréolant du même coup le soignant d’une forme de déification. Le secret est une composante de la médecine, tant dans son exercice que dans sa transmission. Le soignant transmettait les plus ultimes secrets de son art à ceux de ses élèves répondant à des critères. La transmission s’est longtemps effectuée de père en fils, étalée sur de longues années au cours desquelles les différentes facettes du métier, notamment le comportement, sont minutieusement enseignées à dose filée. La détention par le soignant du secret de ces patients est une des sources du pouvoir médical. Les pères de la médecine en ont pris très tôt conscience et ont fait de la préservation du secret un des piliers de la morale médicale. Hippocrate dans son serment et Maïmonide dans sa prière insistaient sur l’obligation du médecin à taire les secrets à lui confiés. L’aptitude au silence est un incontournable critère de choix dans tous les modes d’exercice de la médecine, tant à l’échelle individuelle qu’à l’échelle institutionnelle. La tendance ou la propension à l’autoglorification ou à l’auto-valorisation, à travers la divulgation du secret afférent à une telle position, en constitue un irréfutable critère d’exclusion. Il en a été ainsi tout au long de l’histoire, même si, le secret médical, bien avant d’être doté d’un cadre juridique, a longtemps relevé d’une obligation morale voire religieuse, symptomatique de l’appartenance à un groupe aux principes moraux bien définis.

La confiance accordée au soignant par le souffrant, comme toute autre confiance, ne se décrète pas, ne se réclame pas, s’exige encore moins, mais se mérite (Alain Leblay). Comme toute autre confiance, elle s’acquiert et se galvanise au fil du temps, mais est susceptible de s’écrouler d’un seul coup. La réclamer ou la revendiquer est embarrassant, voire suspect (Je n’ai jamais eu confiance dans les gens qui veulent qu’on leur fasse confiance, proclamait Georges Wolinski). Entrent en ligne de compte dans l’assise de la confiance au soignant deux ordres de critères résultant de l’alliage des valeurs morale et intellectuelle : la maîtrise technique et l’humanité. Le consultant traitant est en même temps consulté par le soigné qui, combinant la raison à l’intuition, scrute ses mots, ses faits, ses gestes, sa mimique, bref sa personne. Cette aptitude du soigné à évaluer le soignant est notamment favorisée par la révolution numérique, un des facteurs qui ont dépossédé la faculté de l’exclusivité du savoir médical. L’outil numérique a en effet facilité l’accès au savoir, tous domaines confondus, dans un monde où s’élargit sans cesse l’espace de liberté individuelle. En outre, les associations de malades, de plus en plus connectées aux sociétés savantes, sont un lieu d’échanges d’informations et de bonnes pratiques, ainsi que de mise à niveau. Les corolaires en sont une horizontalisation des rapports soignant-soigné (aux antipodes de la verticalité en vigueur sous Hippocrate), une élévation du niveau d’exigences des malades, un abaissement du seuil de tolérance et une confiance de plus en plus éclairée et donc susceptible d’être rapidement altérée. Outre son histoire, le secret médical a une géographie, car impacté par le contexte. Ainsi, dans les sociétés où le collectif prime sur l’individuel, le groupe, parfois à tort, s’estime en droit d’être informé du mal dont souffre un de ses membres. De même, la dépendance d’une personne même adulte peut amener celui dont elle dépend à s’arroger le droit d’être au courant du mal dont elle est atteinte. Une maladie devenue anodine est souvent peu sujette à la discrétion, à l’inverse d’une affection au pronostic grave.

Le secret médical et les autres concepts y relatifs (confidence, confiance, rapports soignant-soigné) ont ainsi une histoire, une géographie et une socio-anthropologie. A la verticalité régnant aux temps anciens et alimenté par la détention exclusive du savoir médical par les seuls soignants, a succédé une tendance à l’horizontalité alimentée par la forte accessibilité du savoir médical à tous. Le souci ardent de voir s’élargir l’espace de liberté individuelle contraste avec des restrictions induites par des outils technologiques mettant facilement à nu ce qui relevait autrefois du secret. C’est donc à la confrontation de contrastes et à de contraires que le médecin est appelé à faire face dans la gestion de ses rapports avec le patient. Ceci impose doigté, philosophie, circonspection et surtout humanisme.

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