Hommage du Pr Moustafa Mijiyawa au Dr Komi Nicolas Amanga, décédé le 29 février 2024
Cet hommage est rendu à l’occasion d’un évènement habituel et pourtant singulier, survenu chez un homme d’exception, tous deux objet de consensus.
L’évènement a trait à l’un des faits les plus caractéristiques de l’impermanence et de l’inconstance, reconnu comme tel de tout temps par toutes les civilisations et par toutes les cultures. Il s’agit de la mort. La mort est en effet solidement présente dans notre esprit qu’elle colonise, moulant et modulant la vie dont elle marque naturellement le terme, étant à la fois quotidienne, aléatoire, imprévisible, incernable, indécryptable, mystérieuse, irrésistible, universelle, égalitariste, et indéterminée. Elle s’arrime à toutes les situations, s’adapte à toutes les circonstances, s’accommode à tous les genres, infiltre tous les milieux, surprend les plus avisés, déroute les plus aguerris des soignants, dicte à tous son agenda, n’est l’objet d’aucun report, met à nue l’ignorance encyclopédique des plus grands savants, pour nous rappeler notre stricte condition humaine. Par elle, se trouvent consacrées la permanence de l’impermanence, la constance de l’inconstance, la stabilité de l’instabilité, et la fragilité de l’existence, tout début étant en tout et pour tous la marque d’une fin anticipée, tout ce qui naît étant appelé à périr et à disparaître, et rien ne commence qui ne doive finir. Bossuet a donc eu raison de rappeler que la vie n’est qu’un songe, la santé n’est qu’un nom, la gloire n’est qu’une apparence et les plaisirs ne sont que de dangereux amusements. Tout est vain en nous, excepté le sincère aveu de nos vanités, et le jugement arrêté qui nous fait mépriser tout ce que nous sommes.
Toutes ces caractéristiques de la vie et donc de la mort nous ont été rappelées par l’affligeante et tragique fin de notre frère Nicolas, le 29 février 2024, sur le chemin de retour d’une mission effectuée la veille à Lomé. Cette disparation a suscité un émoi collectif, spontané, soudain, tentaculaire et massif au sein de la communauté sanitaire de notre pays dont Nicolas incarnait unanimement le modèle rêvé, étant indéniablement l’un des meilleurs d’entre nous, sur le double plan humain et professionnel. Avec lui, le concept de parents professionnels auquel il a donné force, vigueur et contenu, revêt tout son sens. Durant la trentaine d’années de notre commun cheminement, de la soutenance de sa thèse en 1998 à son décès, Nicolas a fait de la sérénité sa marque distinctive, du calme et de la modération son exercice, de l’écoute et de la bienveillance son obsession, du respect de la personne humaine son occupation, de l’humilité son guide, de l’apprentissage continu son reflexe, du détachement le moteur de son attachement à autrui, de la prise en compte de ses limites la sève nourricière de sa force, de ce qu’il possède déjà la source de ses désirs, de l’honnêteté son métier, et du sens du bien commun sa pratique la plus ordinaire, le tout l’amenant à donner sans se souvenir et à recevoir sans oublier, et à agir en savant qui s’ignore devant des ignorants qui s’avouent. Par sa clairvoyance et sa lucidité, ce collaborateur ou mieux ce compagnon génial, m’a souvent aidé à dissiper les ombres en situation grave. L’idée qu’il se fait de moi m’a toujours affermi, dans le courage et la rigueur qu’impose la mise en pratique de certaines vertus, notamment celles relatives à la justice et à l’équité. Il a ainsi considérablement contribué à la mise en œuvre de toutes les réformes qui ont hissé la formation paramédicale de notre pays au sommet de l’orthodoxie académique, tel que voulu par le Chef de l’État : déroulement du concours d’entrée, rehaussement du niveau de recrutement, ouverture de nouvelles filières, ouverture d’écoles d’infirmiers et de sage-femmes dans chacune des régions de notre pays, révision des curricula, formation des formateurs, partenariat avec des écoles sœurs, partenariat avec des institutions intervenant dans le secteur de la santé, etc.
C’est donc tout naturellement qu’il fut porté à la tête de l’École Nationale des Auxiliaires Médicaux de Kara, après les sept années passées comme directeur adjoint de celle de Lomé. L’éloquence des résultats engrangés a été déterminante dans la décision du Chef de l’État de porter Nicolas à la tête du CHU Kara dont l’état préoccupant imposait un redressement, nettement retrouvé à travers une gouvernance empreinte d’orthodoxie, dont il s’est appropriée la réforme basée sur l’approche contractuelle.
De ce qui précède découle le statut de Primus inter pares de Nicolas Amanga, le premier d’entre les égaux, comme si son profil professionnel s’arrimait avec la foi tel que prônée par la Réforme de 1517 conduite par Luther puis Calvin. A travers nos multiples échanges, je l’ai su attaché aux trois sola : sola fide (le salut vient de la seule foi), sola gracia (le pardon n’est accordé que par la grâce de Dieu), et sola scriptura (tout point de doctrine doit être appuyé par la seule Ecriture). Étaient tout aussi ancrées en lui les trois vertus théologales que sont la foi, l’espérance et la charité, et un constant effort manifeste de se démarquer des sept péchés capitaux formalisés au VIème siècle par Grégoire le Grand.
C’est le cœur meurtri que nous vivons cet intense moment de séparation, le Seigneur en ayant ainsi décidé. C’est avec foi que nous nous en remettons au Seigneur, le seul sachant, auprès de qui nous implorons le repos de l’âme de Nicolas. C’est avec amour et fraternité que nous présentons nos plus sincères condoléances aussi bien à la famille dont il est issu qu’à celle qu’il a engendrée. Que le Seigneur par Sa grâce nous éclaire et nous vienne constamment en aide dans le soutien que nous apporterons à sa famille, notamment dans l’éducation et le développement de ses enfants. Que le Seigneur dans cet exercice assure l’ancrage constant dans nos esprits de l’enseignement du Talmud relatif au don : on ne donne que ce qu’on possède, à la seule condition de n’en être pas possédé ; celui qui veut donner, seulement si les autres ne donnent pas, veut se distinguer des autres ; celui qui veut que les autres donnent mais pas lui, veut se camoufler des autres ; celui qui ne donne pas et empêche les autres de donner, est un méchant ; celui qui donne, même si les autres donnent aussi, est un sage. Que Dieu nous amène à être constamment sages, nous bénisse, nous couvre de Sa grâce, et nous pardonne. Amen.
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