Histoire du couple santé-hygiène

L’étroitesse des liens entre la santé et l’hygiène remonte à la nuit des temps. Nos lointains ancêtres en ont pris conscience, et ce, bien avant la découverte des microbes par Pasteur au XIXè siècle. En témoigne l’usage du bain répandu dans les plus anciennes civilisations, et retrouvé chez les Sumériens, les Égyptiens, les Hébreux, les Assyriens, les Perses et les Chinois. L’hygiène dans sa forme corporelle a longtemps été arrimée à la purification intérieure recommandée par les spiritualités et les religions. Cependant, l’hygiène, même corporelle, n’a pas connu une évolution linéaire à travers l’histoire. Son ancrage est relativement récent, et remonte à environ deux siècles.

Le mot hygiène dérive du nom de la déesse grecque de la santé et de la propreté Hygie, dont l’étymologie vient du grec ancien, hugieinós (bon pour la santé), fille d’Esculape (Asclépios), dieu de la médecine chez les Grecs. Dans son corpus, Hippocrate, à l’instar de ses devanciers mésopotamiens, avait établi le lien entre l’hygiène et l’état de santé, ouvrant la voie au concept une seule santé, aujourd’hui perçu à tort comme une nouveauté ! La notion a été reprise au Moyen-Âge par Avicenne dans le Canon de la médecine, avant d’être mise à jour et de servir de base à l’asepsie préconisée par Semmelweis, fondée sur le lavage des mains des médecins dans leur pratique des accouchements. La pertinence de la démarche de ce médecin hongrois se trouvera renforcée quelques années plus tard par Pasteur qui, au lendemain de la découverte par lui des microbes, affirma que « le microbe n’est rien, le milieu est tout ». Ces pères de la médecine ne peuvent que déplorer, de l’endroit où ils se trouvent, l’amer constat de l’Organisation Mondiale de la Santé : 61% des soignants ne se lavent toujours pas les mains à bon escient !

L’hygiène corporelle a préoccupé les hommes antiques. Les bains publics étaient associés à la pratique de l’entraînement physique, avec des installations contiguës aux gymnases. Le savon était connu et utilisé de longue date, aussi bien par les Sumériens que par les Égyptiens dont les écrits font état de la saponification. Le savon d’Alpe datant de plus de 3.500 ans aurait été utilisé par la reine Cléopâtre d’Égypte et la reine Zénobie de Syrie. L’huile d’olive et la soude végétale servaient à la fabrication du savon chez les Phéniciens.

Les thermes, établissements de bain public, étaient en vogue chez les Romains. Ils servaient à la fois de lieux d’hygiène corporelle, de sport, de retrouvaille, de repos, de lecture et de restauration. Le Moyen-Âge fut l’époque des étuves, réceptacle de l’art de vivre que symbolisait l’hygiène. Un recul, caractéristique de l’évolution en dents de scie de la pratique de l’hygiène, est attesté par les pratiques de la Renaissance où l’on accorde le plus grand prix à l’apparence aux dépens de la propreté : la toilette sèche (se laver sans eau) de Louis XIV en est la parfaite illustration : friction avec une serviette parfumée imbibée d’alcool que lui présentait un courtisan au petit lever et au petit coucher. Au XVIIe siècle, le linge, objet immédiatement visible et critère de catégorisation sociale, focalisait la propreté et l’hygiène, et primait sur la peau. L’eau, accusée de propager le fléau que constituaient la peste et la syphilis dont a souffert l’Europe, héritait de la vision négative transmise depuis lors. La parenthèse de la toilette sèche se fermera au XIXè siècle, avec les progrès en anatomie, en physiologie et de meilleures connaissances du mode de transmission des maladies. Ces acquis vont servir de socle aux recommandations des médecins et des scientifiques en faveur de l’usage de l’eau et du savon pour le lavage des mains et la toilette quotidienne. Les instructions y afférentes sont diffusées à la fois dans les écoles et dans les familles. Le caractère bienfaisant de l’eau est magnifié, au point où la quantité d’eau consommée par habitant devient un critère d’évaluation du degré de santé, de civilisation et de bien-être d’une ville.

A cette avancée de l’hygiène individuelle, s’est apposée celle de l’assainissement dont les prémices en France remontent au XIIè siècle, avec le pavage des rues et l’aménagement de canaux et de fossés pour favoriser l’écoulement des eaux. Au XIVè siècle, l’interdiction faite aux Parisiens de jeter d’immondices dans la Seine n’est pas rigoureusement respectée, et ce, en dépit de la construction de fosses pour enfouir les déchets. Les épidémies, notamment celles de peste, continuent de provoquer des milliers de morts. Le recul de la peste au XVIIè siècle fait place à d’autres maladies (dysenterie, malaria, variole) liées au manque d’hygiène. C’est au XIXè siècle que les pouvoirs publics décident de prendre des mesures d’hygiène uniformisées, avec notamment la gestion des déchets et des eaux usées. Ces mesures sont dictées par la prise de conscience du rôle joué par celles-ci dans la propagation du choléra lors des épidémies de 1832, de 1849 et de 1854. Les progrès techniques générés par les progrès scientifiques en seront la sève nourricière. L’hygiène individuelle, l’hygiène collective l’assainissement et la vaccination vont ainsi servir de socle à la prévention de nombreuses maladies transmissibles, et ce bien avant la découverte et la mise sur le marché des premiers antibiotiques. Une évolution analogue est vécue dans les autres pays européens. Ces piliers de la prévention associées à la bonne alimentation, vont impacter, mieux que les hôpitaux, l’espérance de vie en Occident.

De l’analyse de l’évolution du couple hygiène-santé, découle la nécessité d’avoir constamment à l’esprit une approche non restrictive du concept de santé, qu’il faut considérer comme une encyclopédie dont la médecine et les hôpitaux qu’elle incarne, ne sont qu’un chapitre. L’allongement de l’espérance de vie en Afrique sub-saharienne, amorcé ces dernières années et dont le renforcement prochain est raisonnablement prédictible, laisse supposer pour l’Afrique une évolution analogue à celle décrite ci-dessus. Doivent être ainsi renforcés l’enseignement de l’hygiène dès le bas âge (hygiène corporelle, alimentaire et environnementale) et les mesures générales d’assainissement. L’hygiène corporelle doit s’apposer à la nature et non s’y opposer, en évitant notamment les néfastes produits éclaircissant de la peau, incarnation contraire de l’hygiène. L’hygiène alimentaire sera en outre d’un grand apport dans la lutte contre les maladies non transmissibles, second bras de la balance pathologique à laquelle fait face aujourd’hui le continent africain.

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